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Flashbacks - Page 6

  • "Premiers pas dans la mafia"

     

    zzzzzzzzzzzzzzzzartfxm09.jpgS’acclimater en pays étranger, même lorsque vous en connaissez parfaitement la langue, l’histoire et la plupart des coutumes n’est pas forcément une situation de tout repos. Il vous faut, outre composer avec cette nostalgie insidieuse que l’on nomme « mal-du-pays »; mais que je qualifierais plus justement, pour l’avoir pratiquée au-delà du raisonnable, de « mal-des-vôtres » ; trouver rapidement vos repères géographiques, sociaux, professionnels; vous faire votre petite place au sein d’un environnement qui jusque là c'est raisonnablement passé de votre encombrante petite personne; tout en sachant que quoi que vous fassiez vous y resterez, fut ce au terme de longues années; irrémédiablement méconnu , irrémédiablement différent, exotique aux yeux des locaux, et parfois même regardé comme potentiellement néfaste .

     

     

    Si de plus vous êtes un pédésexuel à faire passer Dame Elton John pour le champion du monde de la chatte fourrée, votre intégration dans une société latine, machiste, catholique, apostolique et forcément Romaine n'en sera que moins aisée.


    Ma première surprise fut de constater que mes nouveaux bureaux, mes nouveaux collègues ne différaient guère de ceux que je venais de quitter. On traitait Via della Ferratella in Laterano, à peu de chose près, les mêmes dossiers que boulevard Malesherbes, on y commentait les mêmes coucheries, on y assassinait ses rivaux avec la même férocité, et si le café – Italie oblige – y était meilleur, la déco élégante et froide ne variait pas d’un iota.

    Seule différence notable, alors que l’agence de Paris regorgeait d’aimables tapioles au verbe leste et aux cravates colorées, celle de Rome semblait n’employer que des hétéros, exception faite d’une gouine revêche et osseuse pour laquelle tout ce qui portait pénis méritait la mort par le pal, demoiselle qui en dépit des trésors de charme que je déployais pour l’amadouer me demeura hostile jusqu’à mon départ.


    Je passais donc les premiers temps de mon séjour en compagnie d’arrogants petits coqs parlant ballon et nichons, de jeunes mamans préoccupées par l’éducation de leur marmaille et pire que tout, d’entremetteurs des deux sexes bien décidés à fourguer le nouveau venu – un beau parti murmurait on – à quelque Bovary Italienne sèche comme une fleur d’aubépine entre les pages d’un roman .


    Ma libido d’ordinaire enthousiaste ayant eut la courtoisie de s’inscrire aux abonnés absents, je jouais donc les males dominants, barbe d’aventurier , sourire de pirate et pectoraux saillants, poussant le vice jusqu'à courtiser une graphiste qui n’avait, la malheureuse, rien à faire de mes attentions, me désolant de ses dédains sur un air de Lamento dés que je rencontrais une oreille compatissante; jusqu’à ce qu’un beau matin ou un vilain soir, certains picotements, certaines raideurs au niveau de mon entre jambe ne viennent me rappeler que j’avais vingt six ans, une bonne santé, un sexe indéniablement masculin dont je pouvais user autrement que pour uriner; sexe qui, est il besoin de le rappeler; ne consentait à s’ériger en colonne Trajane qu’en présence d’anatomies,elles mêmes, incontestablement masculines.

    Je compris qu’il était temps pour « Mauvaise. Graine » d'ôter son masque grotesque de Fascio Mascio afin d’endosser sa panoplie pourpre et or de « matador-mi amor-mis à mort » avant d’aller bruler ses ailes guillochées d’argent aux lampions bigarrés illuminant les nuits pédoques de la capitale de l’Empire.


    N’ayant jamais été féru des lieux de drague dont le coté clandestin , honteux , voire malsain me répugnait, pas plus que d’ étreintes mesquines torchées à la « vite fait-mal-fait »; je me dispensais d’aller trainer mes escarpins Gucci dans les jardins du Monte Caprino , ou sur la plage du Buco, au bien nommé lieu-dit « Settimocielo », et décidais de faire mon entrée dans la pédésphère Romaine par la grande porte, même si pour l’atteindre je choisis d’emprunter la discrète antichambre d’un bar feutré, intime et chaud repéré sur le net .

    Ironie du sort ou malice assumée, les païens, les débauchés, les libertins, les sodomites en somme, avaient choisis de s’installer non loin de l’église San Crisogno édifiée au Ive siècle de notre ère et que l’on considérait comme le plus ancien site de culte de la ville. J’avouerais franchement, puisque « Mauvaise. Graine » je suis, que l’idée de me livrer à cent turpitudes à l’ombre d’un lieu saint entre tous, me mettait dans une joie féroce.


    Comme vous pouvez-vous en douter, une « Mauvaise. Graine », ça soigne ses apparitions aussi me précipitais je chez une esthéticienne qui me fit la peau aussi lisse, aussi veloutée que le derrière pommelé de ces chérubins imbéciles, aux ailes froufroutantes et aux mines équivoques volant par nuées au plafond de la Sixtine , puis chez un dentiste du cabinet duquel je ressortis avec un sourire que l’on ne pouvait contempler sans lunettes noires sous peine de voir sa rétine irrémédiablement endommagée.


    Se posa ensuite, devant un dressing plein à craquer de fringues griffées, l’inévitable et grave question du « keske-j’vais-mettre ? J’ai-rien-à-me-mettre ! » .
    Comment s’habille-t-on pour prendre d’assaut la ville éternelle lorsque l’on sait que les Romains, et à plus forte raison les pédales Romaines, sont des toxicos de la mode ?

    Chic et choc ?

    Chic et toc ?

    Chic et salope ?

    Salope très salope et pas chic du tout ?


    Je ne sais plus pour quelle tenue j’optais mais ce fut un V beau comme un camion de pompiers qui un soir de Mai, le joli Mai, poussa la porte du « Garbo », Vicolo Santa Margherita, dans le quartier du Trastevere ce lacis de ruelles traçant son réseau serré derrière la piazza Sidney Sonnino; un V qui ignorait encore au moment ou il pénétra dans le bar que ses amours Transalpines ne porteraient jamais et pour jamais que l’unique prénom de Silvio.

  • "When in Rome....."

    z-roma-pioggia.jpgIl se dit qu’à Rome les bouches d’égout mordent les doigts des menteurs.


    Il se dit qu’à Rome les fontaines rient du long rire gouleyant des putes érudites qu'aimèrent les papes du Quattrocento.


    Il se dit qu'à Rome des chats, gras à lard, car nourris jusqu'à l'écœurement par les bonnes âmes du voisinage, vivent par centaines dans une maison située en plein centre ville entre les quatre temples de Largo Argentina.
    Il se dit qu’à Rome les statues parlent, les portes délivrent les secrets de sortilèges oubliés, les réverbères enchainent pour l’éternité le cœur des amants.

     
    Il se dit qu’à Rome il est possible de déguster des parfums au coin d’un bar comme chez nous des grands crus d’Alsace, de Bordeaux ou de Bourgogne.


    Il se dit qu'à Rome les garçons, Tifosi ou Vitelloni, sont plus beaux, plus chauds, plus accessibles que n'importe ou en Italie.

    Lorsque voici près de cinq ans, gonflé de condescendance imbécile; bedaine Flamande, teint fleuri et œil arrondi de satisfaction bovine, mon chef de service m’annonça, que j’étais muté à Rome, j’avoue que je fis un peu la gueule.

    Depuis des semaines, les cassandres des couloirs, plus visionnaires que la Pythie de Delphes, me faisaient espérer New York en sifflotant allégrement le thème de «Sex and the City» sur mon passage.

    Je m’étais imaginé au petit matin, sur le grand fleuve, un joli garçon à mon cou , assis sur un banc qui, peut être, n’existe pas; évoquant Dos Pasos et Woody Allen, tandis qu’au dessus de nous émergeait de la nuit comme un paquebot sort de la brume, l’armature fantastique du pont de Brooklyn .

    J’avais rêvé du Chrysler building, du Rockefeller center, d’une java sur Broadway; d'un pique-nique à Central Park ou d'un brunch à Soho, d'une virée au marché bio d’Union Square.

    Je me régalais d'avance, accompagnée de quelques grammes de caviar de la Caspienne, d’une tasse de « prince Vladimir » au subtil gout de vanille et d’épices dégustée au « Russian Team Room ».

     J’avais rêvé, Gershwin, d’une rapsodie en bleu; des empreintes laissées par Billie Holiday et Truman Capote dans ces clubs underground du lower East side ou se fumaient d'étranges cigarettes, d’un bar un peu bizarre sur Christopher street, peuplé de faux marins, de faux flics, de faux durs, de tendres voyous; d’une après midi shopping chez Bloomingdale’s en compagnie de Carrie Bradshaw ou Rachel Green.


    Bref, alors qu’il avait fantasmé la grosse pomme en paillettes, technicolor et cinémascope, on envoyait Lucifer se faire exorciser dans un champ d'Antiques ruines veillées par des curés et des cornettes.


    J’avais visité brièvement Rome avec ma classe de 2nde ou de 1ere quelques années auparavant et je n’en gardais pas un souvenir impérissable.

    Il y avait bien eut une cuite à l’Asti qui nous avait valu quelques fous rires et un joli teint d’épathiques pour le reste du séjour ; or cela nous nous étions tapé toutes les églises de la création, tous les vestiges du Palatin, du Capitole, les vastes tombeaux de la voie Apienne, les monastères de l'Aventin ; mangé des pizzas aigres et des pates collantes dans des trattorias qui sentaient la misère et passé de bien mauvaises nuits allongés sur d'austères lits de fer dont la plus sévère des casernes n'eut pas voulu, au premier étage d’une ancienne abbaye reconvertie en pénitencier pour adolescents sans doute parricides et que l'on n'avait plus dut chauffer depuis les jours empourprés ou les Borgia répandaient la luxure, l'inceste et le meurtre aux pieds du Saint siège.

    Pour faire bonne mesure, j’avais aussi sucé deux ou trois queues locales, mais on peut dire à ma décharge, plus qu’à celles de mes partenaires, qu’à l’époque je suçais volontiers, mal et un peu n’importe qui.


    Il va sans dire que je rentrais de ce périple un goût bien amer à la bouche.


    Depuis, j’avais souvent séjourné en Italie, principalement à Florence, ville musée dont je ne me lassais jamais et à Milan dont l’énergie, l’invention, la modernité convenaient plutôt bien à mon tempérament intrépide.


    De la ville éternelle, de ses sept collines, de son Colisée dont on ne finissait pas d’achever la restauration, de ses cascades de marbres et d’ors, de ses dômes et de ses cloches, de ses pourpres cardinalices, de ses papes grotesques, je ne voulais plus entendre parler.


    Je protestais auprès de mon chef de service.


    « -Je parle couramment Anglais; le bureau de New York m’eut mieux convenu ! »


    L'autre putain de sa race maudite - qu'il lui vienne la gratte, les bras courts et une paire de cornes au cul - balaya l’argument d’un geste vague de la main comme on chasse une poussière.


    « -Tout le monde parle couramment l'Anglais dans nos métiers. En revanche, rares sont ceux qui possèdent votre connaissance de la langue et de la culture Italienne. Vous aimerez Rome, vous verrez ! Il y fait toujours soleil. »


    Trois semaines plus tard je débarquais à Fiumicino sous un orage comme on en avait plus vu depuis Tibère l'ancien et prenais logis dans un appartement vaste et poussiéreux, Via Gregoriana, à deux pas de la Piazza di Spagna.


    Puis le soleil revint et je croisais sur le chemin du bureau un long manteau de daim crème porté par un garçon dont les souples cheveux bruns balayaient un front vaste, voilant parfois dans le vent de la marche l’éclat d’un regard, un peu oblique aux reflets de glacier. Une large besace en bandoulière, des rouleaux d’affiches plein les bras, au cou dans l’échancrure d’une chemise de fluide jersey une épaisse chaine d’argent aux maillons plats, il m’offrit d’un air de connivence un sourire enfantin qui semblait me vouloir du bien.


    Il n’en fallut pas plus pour que je tombe amoureux et de Rome et de Silvio.

  • « Rentrée des classes, sortie de placard. »

    zzzzzz-v-by-fx-96-02.jpgDavid, Sandra et moi entrâmes en seconde sans le moindre enthousiasme.


    Terrassés d’ennui à la simple pensée de devoir affronter les homélies laïques que nous dispenseraient d’un timbre tout bercé de monotonie automnale des profs aussi peu soucieux de notre avenir que nous l’étions nous mêmes, déterminés à ne rien apprendre qui put entraver une libre pensée que nous qualifions exagérément de nihiliste alors qu’elle n’était qu’un vaste foutoir de lieux communs ramassés dans des magazines de salle d’attente, nous cheminions à petits pas de misère vers le seul bahut Parisien qui voulut encore de nous.

    Il y avait belle lurette que la rentrée des classes – que Sandra appelait « la rentrée des Alpes » en raison de ses allures moutonnantes - n’avait plus pour nous le parfum nostalgique du cuir de Russie, de la colle blanche, fluide comme de la crème aux amandes et des pastels aussi gras et capiteux que les fards des houris du prophète , belle lurette que nous n’éprouvions plus aucun plaisir à parader dans des vêtements neufs et chers, absolument identiques à ceux que portaient nos camarades, ni à échanger des souvenirs de vacances plus ou moins imaginaires dans lesquels des flirts plus ou moins fantasmés se changeaient en expériences sexuelles plus ou moins inédites, elles totalement mensongères.

    Nous échouâmes cette année là dans une classe littéraire ou on lisait plus volontiers « Biba » et « Vogue » que Montesquieu ou Molière, classe presqu’exclusivement composée de fausses vierges affichant ce qu’il restait de leur bronzage et de leurs ruts estivaux dans des petites robes, encore assez légères, aux teintes gourmandes de bonbons et qui s’évasaient au dessus du genou avec des grâces alanguies de pétales ployés par les notes romantiques et poudrées dont ces jeunes filles si peu rangées parfumaient leurs ourlets.
    Les cils passés au bleu Majorelle, les lèvres au rose de caftan, voilée de transparence Indiennes, scintillante de sequins argentés, Sandra, en pleine période baba-cool post Woodstock tendance Katmandou/Marrakech avec un détour par la rue Spontini, comme d’ordinaire dénotait, tandis que David et moi, seuls garçons à peu près baisables parmi cet aréopage d’apprentie salopes déguisées en innocents magnolias prenions un plaisir sournois à répondre à leurs sourires mouillés par des regards de braises.

    Arrivé d’Afrique la veille, papa s’était ramassé dans les gencives avant même d’avoir put défaire ses valises, l’uppercut fanfaron de ma grande révélation sans que son sourire de porcelaine ne se fendille pour autant.

    « - C’est incroyable le nombre de pensées qui peuvent te traverser l’esprit en trente secondes, m’avouera t’il des années plus tard.

    Je me suis dit pourquoi lui, pourquoi moi? Pourquoi nous? L'ais je trop aimé ou pas assez? Pourquoi est il si calme, si sur de lui? D'ou vient cet éclat vermeil sur son visage? Sait-il au moins dans quoi il s’engage? J'ai cherché l'erreur, la faute, le coupable. Tes tantes, tes grand parents, ta mère, tout le monde y est passé. Et moi le premier! Par-dessus tout j’ai eut très peur. Du sida, bien sur, mais aussi du milieu ou j’avais beaucoup trainé avec mes copains gays dans les années 80. Ce milieu aux allures de fosse aux caïmans, ce milieu qui n’est jamais charitable. La fête perpétuelle, l’emphase, la dérision n’y sont que le masque d’une détresse infinie. Je ne connaissais alors aucun homo heureux. Tout ceux que je fréquentais étaient instables, rongés par le doute et la culpabilité, sombres, déchirés ou alors complètement égocentriques, enfermés dans des rôles de poupées de salons, d’infantes pavanantes, pétrifiés par la peur de vieillir, de ne plus séduire. Est-ce qu’un père peut souhaiter cela pour son fils? La plus atroce des réclusions, celle qui t’emprisonne en toi-même? J’aurais peut être dut mettre des barrières à ce moment là, t’imposer des conditions,poser des limites, encadrer cette nouvelle vie. Je ne l’ai pas fait, je n’ais pas voulu le faire. Egoïstement! J’ai songé, s’il tombe, s’il se fait mal, tant mieux, je le ramasserais, je le soignerais, je le récupérerais. Tu vois à quel point je peux me montrer minable ! Je t’ai regardé longuement. Tu avais l’air d’un bébé, mon bébé, pourtant je sentais ta force et ta détermination. Je savais, et tu le savais également, que nous n’avions pas affaire à un passage, à un rite d’adolescence mais que l’amour des hommes t’accompagnerait toute ta vie. Et je les ais maudits ces hommes, tu ne peux pas imaginer, eux qui allaient venir, séduisants et meurtriers pour m'arracher mon petit garçon, pour me l’enlever à jamais. Sans doute aurais je détesté des femmes avec la même force , d’avantage peut être puisque je les connais mieux. Cette dernière idée m’a fait comprendre que peu importait au fond que tu sois gay ou hétéro, ce qui comptait vraiment c’est que tes amours ne te blessent ni trop tôt ni trop fort, mais en la matière, j’étais impuissant. C’était ta vie que tu devais vivre ou qu’elle puisse te mener, quelques soient les chemins qu’elle puisse emprunter. Tu avais grandi sans que je m’en aperçoive. Mon rôle n’était plus de te protéger mais de te consoler. Alors j’ais fait une plaisanterie, je crois, à propos d’un magazine ou je ne sais quoi et puis je t’ai laissé partir. Tu te souviens, lorsque tu as emménagé rue d’Aboukir ? Tu m’as dit sur un ton de reproche « - Maintenant que tu as ta femme et ta fille, tu me laisses partir bien facilement ! ». Que pouvais-je répondre à cela, mon fils ? Parti tu l’étais depuis longtemps. Exactement depuis ce soir de Septembre 93 ou tu etais entré dans ma chambre avec l’allure bravache d’un général au pont d’Arcole et ou tu avais prononcé ces mots : « - Papa, je sais que je vais te faire de la peine, mais jure moi d'abord que tu ne m'aimeras pas moins. Papa,il faut que je te dise……. » Et tu vois, je savais, je savais déjà! Et je ne t'en aimais que d'avantage à supposer que ce soit possible!

      

    Ignorant tout de ces dilemnes, je me sentais, en ce matin de rentrée, une âme de jeune César. Je m'enivrais de moi même, de mes audaces, de cette liberté si facilement conquise et dont je pensais qu'elle me permettrait de me montrer tel que j'étais aux yeux du monde. Si j'en avais eut le pouvoir j'aurais organisé une "gay pride" à ma propre gloire. J'aurais aimé que chacun connaisse ma qualité d'affranchi.

    Du reste, chacun n'allait pas tarder à la connaitre tant je mis de constance à répéter à qui voulait bien l’entendre le petit discours de presentation que j’avais méticuleusement préparé.

     « - Salut . Je m’appelle V.V.S. M . J’aurais 16 ans à la fin du mois prochain. Ma famille est d’origine Ukrainienne, mais nous sommes établis à Paris depuis de nombreuses générations. Je suppose que ça fait de moi un véritable Parisien. Je n’ai jamais aimé l’école qui me l’a bien rendu. Cela ne signifie pas que je sois un élève difficile. Indifférent, tout au plus. Cependant, je suis doué pour les langues et j’adore l’Histoire lorsqu’elle s’échappe des livres d’Histoire pour venir me raconter des histoires. Je n’ai pour l’instant aucun projet d’avenir concret. Mon avenir sera ce qu’il pourra, ce qu’il voudra. Ma seule certitude à l’heure actuelle est d’aimer les garçons. Car oui, je suis gay ! Cela te pose un probléme? Non! Dans ce cas disons que tout va bien!

    Au lieu des vagues escomptées, mes coming-out succéssifs ne provoquèrent qu’un faible clapotis, une ride fugitive à la surface d’un lac ou des barques dociles dérivaient mollement parmi l’or brillant des Jacinthes et les bosquets d’Iris géants en direction de cette terre lointaine et étrangère, dangereuse peut être, que l’on appelait « VIE ACTIVE ». 

     En majuscules, en capitales, l’expression nous était martelée comme une sourde menace, « Lorsque vous entrerez dans LA VIE ACTIVE…. », « Quand vous affronterez LA VIE ACTIVE …. », à croire que l’existence, pourtant bien agitée, que nous menions durant nos années-lycée s’apparentait à une longue et paisible sieste dont nous nous réveillerions au lendemain du bac horrifiés de constater que les grandes et petites heures de nos leçons d’hébétudes n’avaient pas plus laissé de traces dans nos cervelles obtuses qu’un baiser envoyé du bout des doigts n’en laisse dans l’azur laiteux qu’il traverse.

    Légèrement dépité, je constatais que se révéler pédé en 1993 ne suscitait ni curiosité, ni scandale, ni controverse, pas même un bête ricanement qui m’eut au moins permis de faire de coup poing.
    Quelques filles cependant, me montrèrent de l’intérêt, sans doute persuadées de pouvoir me reformer, projet qu’elles abandonnèrent très vite, leurs agaceries se heurtant à un marbre qu’à coups de burin elles n’eussent sut entamer, préférant, dés lors, m’attribuer le rôle omnipotent d’arbitre de leurs élégances et confident de leurs peines de cœur.
    Et Dieu sait qu’elles romançaient des chagrins d’amour comme on brode des arabesques de jais sur la délicatesse chantante d’un velours rouge sang.
    Ces gamines, suaves comme des lys aux sucs empoisonnés, aimaient comme au théâtre. Il y avait du Racine dans leur aveuglement à s’embraser pour celui qui flambait ailleurs. Oreste aimait Hermione, Hermione aimait Pyrrhus, Pyrrhus aimait Andromaque laquelle aimait un tombeau.

    « - Vania, explique moi, toi qui connais les hommes pourquoi Jean-Hughes ne me regarde même pas et cavale après Natacha alors qu’elle sort avec Albert ! Elle est tarte en plus Natacha. Pas de seins, pas de fesses, pas de courbes. Il doit aimer jouer aux osselets, je ne vois pas d’autre explication. Ou alors c’est qu’elle couche cette grande salope ! »

    Bien entendu, toutes couchaient mais ces nobles Proserpine se seraient volontiers laissé noyer dans une caverne engloutie plutôt que d’avouer avoir abandonné leurs virginités dans des lits de hasard un soir qu’il faisait chaud et que leurs tailles dolentes comme de la soie turque s’enroulaient aux bras de garçon qu’elles trouvaient beaux.

    J’aimais assez cette idée absurde et qui courrait les préaux selon laquelle je connaissais les hommes, moi qui n’en connaissais qu’un seul et encore si mal. Cette ignorance, à vrai dire, ne m’empêchait pas de théoriser des après midi entières, dans des cafés prétoires ou nous fumions de la fumée et buvions des bulles, tandis qu’à la télévision Whitney Houston chantait « I will always love You. ».

    « - Les mecs, tu vois, disais je comme si je n’en étais pas un moi-même, ils sont comme ci ; ils sont comme ça…… », et d’enfiler des banalités telles des perles de pacotille le long d’un fil de nylon.

    Mes gracieuses m’écoutaient religieusement. La bouche légèrement ouverte, elles gobaient mes mouches cantharides comme les phalènes d’or d’une nuit ensorcelée, sans imaginer un seul instant que j’avais en la matière moins d’expérience que la plupart d’entre elles.
    Car si je voyais encore Stan, c’était à l’occasion et pour tuer le temps. Déjà je le trouvais moins séduisant. Bientôt il me paraîtrait tout à fait quelconque, jusqu’à ce que j’en vienne à me demander par quels mystères j’avais put me taper un vieux machin pareil.

    Mes jeunes filles en fleur avaient des frères en bourgeons et moi des appétits de plus en plus vivaces de chaires à peine carnées et d’innocences que je savais désormais comment convertir au péché.