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Variations sur le même t'Aime

  • " Prince des indécences."

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    Sans même se donner la peine de sonner, il est arrivé alors que je ne l’attendais plus.


    Mais à vrai dire, l'avais je réellement attendu ?


    Il a utilisé pour entrer une clé que je lui avais confiée du temps que nous grimions notre histoire de cul en histoire d’amour ; feignant pudiquement de ne pas remarquer que les paillettes se décollaient, que les fards viraient ou s’écaillaient comme sur un visage flétri qu'on aurait peint à la hâte aux couleurs de la jeunesse.


    Il ne me l’a pas rendue cette clé. Il ne me la rendra pas.


    Du reste je ne la lui demande même pas. Je ferais changer les serrures un jour ou l’autre.
    Disons plutôt l’autre.


    Je l'ai reconnu au bruit violent qu'a fait la porte lorsqu'il en a rabattu l'huis.
    Il n'y avait que lui pour claquer les portes aussi fort, à croire qu'il voulait par là s'interdire toute velléité de fuite.


    Tranquillement, j'ai refermé mon livre non sans en avoir corné une page qui n'en pouvait plus de l'être. Toujours la même page, toujours le même paragraphe, les mêmes mots que je relisais inlassablement et dont je vous parlerais peut être un jour.


    Il a pénètre dans ma chambre comme une bourrasque d’automne. Sur les pans de sa grosse écharpe rouge, dans les plis de son manteau noir trainait un parfum urbain de feuilles mortes et de goudron, de précipitation, d’urgence.


    Le parfum du dehors.
    Le parfum de Paris à la tombée de la nuit.


    Lui sentait le chèvrefeuille, les agrumes et le thé vert, les après midi paresseux.
    Il a vingt cinq ans, presque vingt six; des orages souvent sur ses histoires d’amour et l’éternité devant lui.
    Il est vrai qu’à son âge l’éternité est l'affaire d'une poignée de secondes.


    Il s'est laissé tomber plus qu’il ne s'est assit dans le fauteuil au courbes douces près de mon lit, mais cette chute n’était pas brutale.


    Fluide plutôt, flexible.
    Comme lorsqu'on tombe dans un rêve, Alice dans un puit.


    Je lui ai trouvé la grâce délivrée de toute pesanteur d'un nageur en eaux profondes.
    Ses gestes sont longs, son visage est lisse.
    Il a frissonné, s'est plaint d'avoir les pieds froids. Je lui ai fait remarquer que les petits garçons ont toujours les pieds froids.
    Il a levé une épaule pour me signifier que je racontais des bêtises.


    Je sais bien qu’il est frileux, qu’il aime le soleil. Le soleil sur cette plage de Sardaigne ou nous nous sommes connus, le sable rose et noir en damier et qui ne blesse pas tant son grain est poli, la mer tiède au couchant, infusée du sang vif des coraux, les maillots de bains turquoises ou Garances, trop étroit de chez Roberto Cavalli.


    La lumière crue lui sied; la quasi nudité.


    Il n’a rien à cacher.


    Il est beau comme un Italien, souriant et boudeur, gouailleur et taciturne, ombrageux et paisible, sensuel et aussi froid qu’un David de marbre. Le Caravage l’aurait peint sur fond d’obscurité. Claire tête d’archange, corps raviné d’ombres mauvaises, voyou Romain et prince Florentin ; un peu Cesare Borgia, un peu Giuliano de Médicis.


    Princier dans tous les cas.


    Il porte l’un des plus grands noms de France et fait mine de s’en moquer. Il définit ces prestigieux ancêtres comme un ramassis de putains royales et d’assassins en dentelles. Lorsqu’il évoque le monde dans lequel il a grandit, celui des chancelleries, des diners en habits, des châteaux en Touraine il en rit franchement.


    « -Qu’est ce que le « Monde » d’après toi ? Dix parents plus ou moins proches à Paris, dix parents éloignés à Londres, autant à Venise et Budapest ; tous déguisés en pingouins qui s’embrassent et se font des grâces dans la petit monde de leur monde et se détestent cordialement dés qu’ils en franchissent les frontières. »


    Je ne lui donnerais ni tort ni raison.
    Ce monde là, je ne le connais pas.
    Chez moi c’était la bohême et l’art du grand n’importe quoi.


    Il a soupiré longuement, pas bien heureux mais pas bien désespéré non plus. Il s’est arrache de son fauteuil pour rejoindre le lit ou me cloue ma cheville malade.

    En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il était nu ce qui tenait de l’exploit olympique tant ce jeune athlète s'était couvert d’épaisses cotonnades et de souples flanelles pour se préserver d’un froid à givrer les marrons dans leur bogues.


    Lentement et sans me toucher il s’est allongé près de moi, son corps perpendiculaire au mien et a allumé une cigarette.
    Lui, c’est avant l’amour qu’il fume.
    Les yeux perdus dans les volutes bleues de son tabac blond il a parlé un peu de lui.

    De Prague dont il arrive, de Casa ou il s’en va.
    La cendre est tombée sur le drap sans qu’il s’en préoccupe.
    J’ai grogné, grondé pour la forme ; il a rit du bout des dents en me lançant un petit regard malicieux.


    « Je ne vais pas t’embêter longtemps, va ! »


    J’ai eut bêtement l’impression qu’il ne s’adressait pas à moi, qu’il n’y avait plus entre nous ce « pas-si-vieux » fond de souvenirs que l’on appelle bien prosaïquement de la complicité.


    « -Tu repars quand ? » j’ai demandé.


    Il s’est retourné sur le flanc, le bras tendu vers le chevet pour écraser sa cigarette dans un petit cendrier de porcelaine.


    « Quelle importance puisque je pars. »


    Puis sa main, sa petite main vigoureuse est venue effleurer mon torse. De l’index il a suivit le tracé de mon tatouage au dessus du sein gauche redessinant sur ma peau les longues cursives des mots « Mauvaise. Graine ».


    « - Et puis toi aussi tu partiras lorsque tu seras guéri. L’Afrique, la région des grands lacs .Tu vas te faire boulotter par les pygmées cannibales. » A-t-il ajouté avant de poser sa bouche là ou la décence m’interdit de le dire.


    Il s’appelle Chris et j'aurais put l'aimer s'il ne se défiait tant de cet amour.

    En même temps, si j'étais l'homme qu'il aime, je me méfierai!

     

     

     

     

     

  • " Serenade à Trois."

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    J’ai reçu le Week-end dernier, la visite surprise, d’un garçon plus qu’agréable à regarder, intelligent, subtil, drôle, cultivé ; un garçon que je connais depuis suffisamment peu de temps pour qu’il me manifeste, en lieu et place de cette condescendance amusée que me réservent mes anciennes relations, des sentiments extrêmement chaleureux.


    Nous appellerons, en toute simplicité, ce jeune et brillant apprenti scénariste/réalisateur, Truffaut.


    J’avais rencontré Truffaut au cours d’une soirée donnée par le père de David en l’honneur d’une vieille actrice chancelante car plus intéressée par le whisky que l’on servait au litre que par les oraisons, déjà funèbres, psalmodiées à sa gloire.

    Truffaut, probablement aussi saoul que l’aïeule du cinéma Français, m’avait abordé d’une boutade.

    « Ces fichus acteurs ne savent décidément pas réussir leurs sorties. Vous ne pensez pas qu’ils devraient accepter les hommages avant qu’il ne faille trois personnes pour les extraire d’une limousine ? »

    Troublé par la beauté lumineuse de cet inconnu, j’avais rit un peu trop haut- un vrai hennissement de jument menée à la saillie- ; or si l'on en croit un antique dicton Ukrainien , « Homme qui rit, à moitié dans ton lit. ».

    Soyons honnête, il n'aurait pas fallu me pousser beaucoup pour que je case les deux moitiés de ma grande carcasse dans le lit du bel impertinent s’il ne m’avait confié dans la foulée , être en ménage depuis des années avec un psy bien connu sur la place de Paris pour ses écrits filandreux sur la grave question existentielle du « pourquoi les homos aiment la bite ? ».


    Parce que c’est bon, connasse ! Pas besoin de nous en torcher trois cent pages à la mords moi la chose les soirs de pleine lune)

    Bref, sans trop de fleurs de rhétorique, Truffaut me laissa entendre que son penseur de mari et lui-même se seraient de bon gré partagé la mienne de bite, à condition qu’il y ait sur l’os, suffisamment de viande pour deux.


    Que la tronche du conjoint me revienne modérément m'incita moins au refus que le malaise - cette gène handicapante que l'on ressent lorsqu'on sait être au mauvais endroit au mauvais moment- que j'ai toujours éprouvé à m'immiscer dans l'intimité sexuelle de couples depuis longtemps constitués; aussi déclinais je cette généreuse proposition en perpétrant un mensonge si énorme que même Clara Sheller n’eut osé le commettre.

    « - Désolé jeune homme, je ne suis pas un adepte des plans.
    "- Comme ça tombe mal ! Saurais-je m’en remettre ?
    "-Très facilement, j’en suis certain. Du reste on ne doit pas souvent te dire non.
    "- Bien trop souvent à mon goût.
    "- Es tu donc si gourmand ?
    "-Es tu donc un tel ascète ?
    "- Non, mais j'ai du mal avec les garçons en couple.
    "-Tiens donc ! Et pourquoi les garçons en couple seraient ils plus dangereux que les autres ?
    "- Peut être parce que je craindrais de m'attacher à l'un plus qu'à l'autre.
    "- Donc le danger vient de toi, pas du couple ?



    Notre duel à fleurets mouchetés tourna court grâce à l’intervention de David, lequel me devinant en mauvaise posture, m’entraîna, sous un prétexte fallacieux, à l’autre bout du salon.

    Par la suite je croisais régulièrement Truffaut et son compagnon dans des soirées ou dans des bars. Nous échangions alors quelques platitudes sur un ton mondain de conversation sans qu’il ne soit jamais question de parties fines ou autres ribauderies.


    Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'à ce qu'un Truffaut affable et souriant se pointe à mon domicile tel un roi mage qui se serait trompé d'étoile, avec en guise d'offrande des chocolats blancs et des macarons roses.

    Il venait, dit-il, d’apprendre mon accident et me sachant cloîtré chez moi, il s’était permis d'agrémenter ma convalescence de quelques douceurs.


    Si vous pensez qu'il faisait par là allusion aux merveilles de chez Ladurée qu'il apportait, je me garderais de vous contredire mais à mon humble avis vous seriez dans l'erreur.


    Du reste mon aimable corrupteur dévoila ses intentions dés les politesses d’usage expédiées.


    « - Alors, on se marie quand tous les trois ?


    Bien qu’enrobée d’un sourire sur la grâce duquel Saint Pierre eut ouvert à deux battants la porte du royaume des cieux au plus tribard des sodomites, cette question me fit l’effet d’une provocation délibérée.


    « - Jamais ! Ça te va comme réponse ou tu veux que je développe ?


    Truffaut esquiva le coup de griffe d’un rire insolent.


    « - Oh ça va, ne me joue pas les Bossuet ! Madame se meurt, Madame est morte, Madame est outrée ! Que veux tu, je suis un sentimental moi, pas un romantique ! Est-ce ma faute si je m’exalte pour toi ?
    « - Je préférerais que tu t’exaltes pour ton copain.


    Nouveau rire moqueur, à croire que pour Truffaut je pouvais bien employer tous les mots du dictionnaire, ce serait toujours pour dire une connerie.


    « - Mais je peux m’exalter pour beaucoup de monde. Je ne recherche pas l’exclusivité.


    Il m’expliqua alors, détachant soigneusement les mots pour que l’attardé que je suis en comprenne bien le sens, qu’il ne croyait pas plus en l’amour qu’il ne croyait au couple. Il considérait d’ailleurs le mot « Amour » comme un maître mot assez vide de sens, un mot fourre-tout que l’on utilisait lorsque l’on ne savait pas qualifier ses élans, ses emballements. Il ajouta qu’il n’avait pas non plus une très belle opinion du couple à deux qu’il considérait comme un modèle social unique et oppresseur ; qu’il existait des formes bien plus constructives de « vivre ensemble » , que je n’était qu’un imbécile de n’avoir rien compris au film , qu’il me proposait non pas un plan à trois mais un « ménage » à trois , lequel ne se définissait pas comme une addition « 2+1 » mais comme un véritable partage à trois dans lequel les fluides circulaient dans tous les sens .


    Bref , bien si j'ai bien saisi; et malheureusement lorsque j'ai compris quelque chose on pourrait m'ouvrir le crâne en deux que je ne comprendrais pas le contraire ;il s’avérait que Truffaut et son psy sortaient d’une histoire de plusieurs mois avec un troisième larron lequel avait pris la tangente de peur d’être « trop amoureux » , laissant les deux compères dévastés quoique bien décidés à reformer au plus tôt « une association de bienfaiteurs » en forme de triangle isocèle , triangle dont j’avais été élu pour constituer le coté manquant .

    J’en restais sans voix et je l’avoue vaguement apitoyé.

    Je n’imaginais pas que l’on puisse se sentir aussi seul dans son couple, que l’on soit obligé de reporter son amour ou sa frustration d’amour sur un objet commun extérieur.


    Pimenter ses ébats sexuels en y invitant un nouveau venu ne me choquait pas, même si ma terrible jalousie m’interdisait de passer par une telle échappatoire (un mec qui oserait sous mes yeux toucher à l’intimité de l’homme que j’aime, mais moi, je le tue, je l’étripaille, je l’atomise, je le volatilise dans Paris façon puzzle !) ; en revanche, je refusais de me laisser utiliser, manipuler, réduire à l'état d'obscur objet du désir par un couple flageolant.


    En d’autres temps, en d’autres lieues, sans doute aurais je conseillé vertement à Truffaut d’aller se faire sodomiser par "Queue-d'ane" en place publique. Hélas , depuis mon accident et la quasi solitude qu’il m’impose , je me sens plein de compassion pour mes semblables , à croire que plus la vie est moche plus le cœur est bon .


    J’ai donc dit à mon vis-à-vis que je ne me sentais pas au cœur suffisamment d'amour à donner pour m'épanouir dans une liaison plurielle mais qu’en revanche je le trouvais , lui, assez séduisant pour envisager , le jour ou il serait libre……


    Il ne m’a pas laissé terminer ma phrase.


    « - Voilà un horizon bien lointain.


    Je me suis demandé s'il n'aimait pas sincèrement le psy lorsqu’il a ajouté, d’une voix étrangère, déjà en partance :


    « -Tu devrais pourtant le savoir, toi, que Rome ne c’est pas défaite en un jour.

  • " Présentation des Musiciens"

    zzzzzzzzzzzzz-v-by-fx-08.jpgVoici un peu plus de deux ans, pourvu de cette «  mâle franchise » qui se pare du beau, du rude nom de gaillardise ainsi que d'une inconscience si absolue qu‘elle touchait au cynisme, j’avais entrepris la rédaction de mon premier blog, un ricanant et mélancolique chef d’œuvre de posture intitulé «  Mauvaise Graine et les Garçons ».

     

    Provisoirement immobilisé à la suite d’un accident de voiture survenu au soir de mon trentième anniversaire, je m’étais imaginé que le fait de  raconter mon quotidien au travers d'instantanés plus ou moins inspirés, s’il ne m’aiderait pas à y voir  plus clair parmi les fanfreluches et les tremolos dont j’aimais à orner ma personnalité schizophrène, du moins me permettrait il de tuer les lentes et pesantes journées de quasi solitude auxquelles mon plâtre me condamnait.

     

    J'avais démarré cette aventure dans le déni le plus achevé, l'idée fondatrice étant de raconter de légers, de  croustillants petits contes défaits, d’amusantes historiettes sur la vie d’une certaine frange du gay Paris.

     

    Bref, j'entendais, dans des détonations de champagne, dans le cliquetis argentin des paillettes, acoucher d'une baudruche toute amusée d'elle même mélant sur un air encore assez badin vacheries, sexe et Show Bizz !

     

    Or, je m'aperçus  très vite que ce verbiage, aussi fardé, poudré, camphré fut il, se résumait à la seule glorification d'un Moi  dont le mérite s'avérait inversement proportionnel à la bouffissure qui le tendait à le rompre.


     

    Du reste, je n'avais rien à révéler de bien palpitant. Ma vie s’énonçait agréable partagée entre un métier souvent casse burnes mais pour lequel je me passionnais et  un entourage non moins ratatineur de valseuses mais aveuglément dévoué à ma triste cause.

     

    De problèmes je ne me connaissais que ceux que je prenais malice à me créer.

     

    Né coiffé, une cuillère en argent dans la bouche, pas d'effort spécial à fournir pour atteindre les objectifs qu'a vrai dire je répugnais à me fixer, pas de malhonnêteté flagrante entachant le fil immaculé de mes jours, pas de grand crime à confesser, aucun point de vue original sur la marche du monde, je ne possédais en somme  qu'un grand cœur écharpé mais en voie de guérison.
    Le lot commun de tous les gays trentenaire pour peu qu'ils se soient écorchés l'âme aux aspérités de la vie et de la nuit.


    Ainsi, très vite, l’encre peina à couler.


    Les mots boitèrent et je buttais.


    Christophe était là, déjà,  qui me souriait.

     

    Il avait bien du mérite tant je montrais de constanceà invoquer les mânes de mes amours défuntes pour échapper aux faux semblants de celles à venir.


    J’avais compris alors, non sans efforts, non sans réticences, qu’ il me faudrait désormais  m’occuper à vivre, à aimer, à revenir aux sources du moi, du jeu, du nous, qu’ il faudrait que l'écriture me devienne accessoire ou mieux qu’elle finisse par m’encombrer. Or elle se voulait exigeante, la garce, elle me talochait, elle me talonnait, elle aurait aimé que je lui consacre des heures.
    L'existence impudique que je menais sur ce blog m’était apparue soudain en subtil décalage avec mon histoire, passée ou présente, comme une version plus nue, plus franche, plus abrupte de celle ci.

    Infiniment embarrassante parce que touchée d' une lucidité dont je n'avais  pas toujours fait montre.

    Car enfin, admettez qu'il faut être gravement perturbé pour confier avec des mots choisis à de parfaits inconnus ce que l'on dit si mal à ces meilleurs amis ?

     

    J’avais donc cessé d’écrire du soir au lendemain, sans un avertissement, sans une explication, sans un adieu à mes lecteurs. Sans regrets ni  fanfares je m’étais engouffré dans ce qui sonnait comme la dernière grande histoire d’amour de ma vie.

     

    Christophe tel qu'en lui même enfin.

    Christophe le sublime, le magicien; Christophe l'alchimiste, l'envouteur; Christophe devenu l'unique objet de mes obsessions intimes comme la cause ultime de mes plus rudes navrances; Christophe le voleur envolé, clair regard d'or vert et sourire blanc.

     

    Dans le premier billet que je lui consacrais alors, je définissais Christophe du seul adjectif, qui me vint à l’esprit, un adjectif lapidaire et clinquant , dont l'écrasante hauteur me semblait en parfaite adéquation avec un orgueil du sang que trahissaient par touches discrètes, le timbre parfois trop appuyé de sa voix ou certains de ses gestes, tel ce revers de main vif comme un soufflet, par lequel il congédiait les importuns; orgueil du sang auquel j'attribuais, sans doute un peu vite, son mutisme polaire, ses fraîcheurs boréales, sa réserve, un rien boudeuse, un rien ennuyée et qu’il ne cherchait pas à travestir lorsqu’il s'engageait, d’un pas d’écrevisse, sur les chemins qu’à coups grossiers de machette je lui ouvrais, dés lors que ces sentiers d'infortune ne conduisaient pas au sacrifice noblement consenti de mon lit.


    Je le disais princier.

     

    En toute partialité, en toute immodestie.
    Prince des fleurs de Lys, proche parent de France, sans doute ne l’était il plus tout à fait, tant la race, une fois descendue des échafauds de la terreur avait mis de rage à remonter son prestige au prix de factions politiques douteuses, de volte-face, de trahisons et pire encore d’alliances boutiquières, néanmoins il restait aux derniers du nom encore suffisamment de sève, de finesse, de distinction supérieure pour imposer sans efforts notoires une prééminence qui les rangeaient à part du commun des mortels, tout en les figeant dans une pose qui bien qu’elle sentit un peu la poussière et le renfermé ne manquait ni d’allure ni de panache.
    Comme on ne prête qu’aux riches, on pardonne volontiers aux aristos de hausser un peu loin leurs cols à guillotine maintenant que les Altesses font la pige aux vedettes de Cinéma, maintenant que le enfants des tricoteuses et des accusateurs publics canonisent des dindes couronnées dont les brushings de premières vendeuses, les élégances tartignoles, les grâces trébuchantes, les éternelles conjonctivites accompagnent à ravir des destinées sentimentales de feuilleton télé.
    Au début de notre liaison, vaguement flatté de toucher au fait du Prince, je trouvais commode de réduire ce Christophe dont je ne parvenais pas à percer les brumes de silences, à son ascendance éminemment aristocratique.


    J’y mettais, il est vrai, une pointe d'ironie tout à fait mesquine, un peu à la manière d'un obscur hobereau au spectacle d'un courtisan, lorsque tout enrubanné de faveurs Versaillaises, tout agité de poudre et de parfums, ce dernier daignait souiller ses points de Venise et le rouge Cardinal de ses talons dans le bourbier des basses cours d'ou il tirait ses carrosses et ses colifichets.

    Si Christophe n’était pas le dernier à railler son nom à rallonge, la kyrielle de titres qu’il trainait à ses basques comme une charrette nuptiale éparpille son vacarme de boites de conserves, ses ancêtres dont les portraits s’exposaient dans les musées tandis que leur gloire et leurs méfaits n’en finissaient pas de ricocher, des pages des livres d’Histoire à celles des romans populaires, il y avait dans le dédain qu’il affichait pour sa particule une certaine part de vanité.
    Il en riait, certes, mais sans jamais laisser oublier qu’il en possédait une, comme il ne manquait pas de rappeler sous couvert de dérision, l’insolente devise familiale selon laquelle alors que le monde n’était pas encore monde, les siens, déjà portaient les ondes.

     


    Pour couronner un peu plus son front à diadèmes, Chris est beau.
    Chris est beau et il s'en fiche.
    Ou du moins, disons qu'il n'en tire nulle vanité.

    Il a le triomphe modeste et l'âme charitable. Il porte cette beauté à la manière d'un bijou précieux dont il ignorerait la valeur. Jamais il ne l'utilise pour humilier ou brocarder qui que soit. Jamais il ne lui viendrait à l'idée d'en tirer avantage.
    Amateurs d‘Adam nus, de nombreux photographes, lui ont fréquement proposé de poser pour eux. Alors que n'importe quelle tapiole de base, folle de joie, se serait roulée dans la poussière en mugissant comme une sirène d’incendie; Chris, lui, se contente, très poliment mais non sans fermeté, de décliner l’invitation.
    Lorsque je l'interroge sur les raisons de ses refus, il me contemple avec un air d’incompréhension.


    « _ Ca ne m'aurait rien apporté, V. me dit il, marri que je sois trop bête pour saisir l’évidence.


    Chris n'est pas frivole.

    Chris est, ce que l'on appelle prosaïquement, une bien belle personne.

     


    Cherchez la faille, creusez, diguez, vous ne trouverez rien, sinon d'immenses qualités.

    Intelligent, probe, réfléchi, engagé, sérieux comme pape en Vatican ; ce gamin me désespère chaque jour d’avantage.

    Où sont les rudes scories des hommes que j'ai aimés avant lui ?
    Que sont devenus les gueules d'aboyeurs que je fermais d'un baiser ?
    Comme ils riraient, mes ogres cannibales, s’ils me voyaient aujourd’hui, moi qui n'aimais que les orages, croiser sur les eaux lisses d'un tiède conjungo en compagnie d'un petit garçon modèle que même la comtesse de Ségur eut trouvé trop sage.


    Enfin, lorsque je parle de conjungo, il ne faut rien exagérer. Chris habite chez ses parents près d’Opéra.

    J’habite un vaste appartement, un pâté de bâtiments plus au sud.


    Il vient parfois chez moi. Je ne vais jamais chez lui.


    « _ Cette affluence, proteste Chris. Je ne sais pas comment tu supportes tout ce passage.


    Parfaitement bien, jeune homme, n'ayez crainte.


    Mon appartement est connu dans Paris sous le nom d' " Auberge du 6eme bonheur ».
    La plupart de mes amis en possèdent la clé.
    On y entre comme dans un moulin. On y dort; on y dîne.

    On y séjourne trois jours ou trois mois.

    On y soigne ses peines de cœurs.

     On y cache ses liaisons.

     Il m'est arrivé de trouver des couples dans mon propre lit, occupés, vous vous en doutez, à jouer aux cartes, de parfaits inconnus dans ma salle de bain, de vieilles connaissances, oubliées depuis longtemps, assoupies sur mes canapés.

     

    J'adore cette ambiance brouillonne de perpétuelles vacances, ces va et viens incessants qui donnent à mes salons un air d’Italie.


    Chris, lui, ça l’emmerde.


    Sommes-nous pour autant si différents ?

    Et ne venez pas évoquer comme point de discorde les six années qui nous séparent. Après tout je possède de beaux restes, et croyez moi, Chris est passé maître dans l'art de s'en accommoder.


    Bref……


    Nous lisons Proust et « Voici ».
    Nous écoutons Rachmaninov et Mika.

    Nous aimons le silence des musées et la fureur des bordels.
    En revanche, là où il se montre calme, pondèré, serein; je me révèle volcan en perpétuelle éruption, grande gueule incapable de la fermer.
    Là ou il verse dans la mélancolie et la discrétion ; je m’épanche dans l’emphase et l’exubérance.
    Là où il est adulte, je suis enfant.
    Il a planifié son existence avec une rigueur effrayante, au point que je ne serais pas étonné qu'il ait déjà souscrit une convention obsèques.

    Je suis incapable de vous dire ce que je vais faire dans une heure.


    « - La vie est unetrajectoire rectiligne . Aime t il à répéter.


    (La tienne peut être, poussin ! La mienne n'est que circonvolutions.)


    Il est terrifié à l'idée de prendre une mauvaise décision et de se retrouver à l'heure du dernier bilan encombré de regrets.
    Mais, que connaît-il, enfin, au charme des regrets, aux possibilités infinies cachées derrière ses portes que l’on a choisi un jour de laisser fermées et devant lesquelles on ne peut passer sans que l’imagination ne s’enflamme et un délicieux pincement au cœur ?

    Que sait il de l'amère beauté des " si j'avais su «, " si j'avais pu " et " si c'était à refaire " ?
    J"ai de beaux souvenirs et des regrets magnifiques.


    « - Mais quand te décideras tu à devenir raisonnable ? Me demande t il régulièrement.
    Comme d'habitude je m'en tire d'une pirouette.
    « - Quand on me clouera au sapin de l’enterrement.
    Il cache son visage dans ses mains.


    Atterré !


    Alors, me direz vous, que faisons nous ensemble ?
    La réponse est simple.
    Je le fais marrer, il me fait bander.
    Je suis le clown blanc de sa piste aux étoiles ; il est l'illusionniste de mon ciel de lit.
    Je sais que ce n'est pas suffisant, que l'on ne battit pas une vie sur des rires et des râles.
    Nous avons tenté cent fois de rompre le lien d'acier ténu, qui nous uni l’un à l’autre.
    Sans grande réussite, à vrai dire.
    Nous nous quittons toujours un peu en froid, vaguement boudeurs mais pas vraiment séparés.

     

    Du reste, nous nous quittons de moins en moins.

     

    C’est enfin à Christophe que l’on doit mon retour au sein de la blogosphère -et certains d’entre vous le voueront probablement en raison de cette atteinte au bon goût, à des gémonies susceptibles de faire passer le supplice du pal, ce petit jeu qui commence si bien mais qui fini si mal, pour un interlude Virgilien -  .

     

    Ainsi, le week -end dernier, privé de mes précieuses que j’étais allé saintement baigner aux rives miraculeuses d’une  Méditerranée aussi azurée qu’un manteau de Marie, ceci  dans l’espoir hélas déçu de les débarrasser d’un début de flétrissure somme toute très banal à mon âge, dans mon état et à l’heure qu’il est, Christophe ne trouva-t-il rien de mieux à faire pour tromper son ennui - et sans doute pour éviter de me tromper moi-même avec le premier miroir à putain venu- que de relire mon ancien blog.

     

    « - Tu sais, finalement, ce n’était pas si mal ce que tu écrivais, me dit il dés mon retour, avec au visage un air d’angélisme qui lui eût valut une canonisation immédiate s’il n’avait ouvertement et sans la plus pauvre pudeur revendiqué d’un penchant déplorable mais que je me gardais bien de déplorer pour certains vieux beaux toutefois équipés d’accessoires encore en état de marche.

     

    J’en étais resté cois tant par le passé j’avais eût à redouter les franches moqueries dont mon camarade de jeu se plaisait à accabler une prose «  aussi cambrée dans sa vanité qu’un pied de marquise dans son soulier de satin. »

     

    « - Tu devrais continuer, ajouta t’il sans même se marrer. Ca t’éviterait de penser à mal lorsque je quitte Paris.

     

    J’objectais piteusement, une fois ma voix retrouvée, que de penser constamment à lui, qu’il se trouve dans la pièce voisine ou à Tombouctou n’était pas penser à mal, qu’en conséquence  débordant d’une légitime félicité au creux de ses bras je ne voyais pas la nécessité d’encombrer la pédésphère des récits extatiques d’un bonheur qui du reste ne se raconte bien que lorsqu’il est perdu.

     

    Christophe avait souri finement tout en ébouriffant d’une paume tiède et humide les poils de mon torse nu.

     

    « - Heureux ? Toi ? Comme si tu pouvais le rester bien longtemps ! Ecris mon amour ! Ecris pour toi, écris à propos de nous. Ecris en souvenirs de nous, écris  pour  lorsque heureux nous ne le serons plus. »

     

    Véronique Sanson: "Amoureuse".

     


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