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paris

  • " Paris Cinoche. "

    zzzzvania-paris.jpgJe suis né à Paris; j’y ai grandi.

    Partout dans la capitale je me heurte à des images, des souvenirs, des regrets aussi.
    Partout des parfums viennent me parler du passé.

    Une essence de Guerlain sur un manteau qui vous frôle, une odeur de vieux cuir à l'intérieur d'un taxi, les effluves d'un vin chaud à la cannelle au coin du comptoir , "Chez Georges", rue des Cannettes, le piquant poisseux des berlingots que l'on achetait dans les petites cahutes de bois vertes du Luxembourg.

    Paris de mon enfance entre le boulevard Exelmans ou nous habitions alors (David était notre voisin) et le parc Monceau ou résidaient mes grands parents et les trois jeunes sœurs de mon père.

    L’ambiance à la maison était à la guerre des nerfs. Mes parents ne s’aimaient plus; à supposer qu’ils se soient aimés un jour.

    Aux périodes de silence hostile succédait le terrible fracas de leurs dernières disputes. Tout cela ne m’empêchait pas de dormir puisque je ne les avais jamais connus autrement que dressés l’un contre l’autre, échangeant les sarcasmes, les piques au vitriol, les coups bas.


    En revanche, parc Monceau, l’atmosphère était aux rires, à l’impertinence, au joyeux bordel.

     Mes tantes, toutes blondes comme des soleils de Crimée, belles, légères, insolentes, avaient alors entre dix sept et vingt ans. Elles poursuivaient de vagues études qu’elles rattraperaient au pire un jour peut être, au mieux jamais, préférant enchainer les cœurs sans se soucier de les écharper, sous le regard complaisant d’un père qui leur prodiguait toutes les indulgences et celui toujours vaguement mélancolique d’une mère qui pour avoir fait se pâmer tout Paris en son temps, retrouvait dans leurs folies le goût perdu de sa propre jeunesse .

    Les fiancés défilaient comme en un quatorze Juillet perpétuel. De gentils voyous pourvoyeurs d’extases chimiques, des fils de famille soigneusement décoiffés, des étudiants en on ne savait trop quoi engoncés dans leurs petits costumes cintrés, des acteurs aboyeurs, un peintre qui ne peignait que des culs et tant de pianistes que l'on aurait put croire nos trois gracieuses toquées des coulisses de Pleyel.

    Du reste, on ne savait jamais très clairement qui était avec qui, tant les  « demoiselles avec ou sans ailes » comme elles se qualifiaient elles mêmes, mettaient de malice à se chiper, se prêter, s’échanger leurs amoureux respectifs.


    Le dimanche, lorsque le temps le permettait, nous déjeunions dans le jardin, au grand dam des voisins assourdis par le vacarme de volière qui régnait sous les tilleuls. Nous parlions tous en même temps sans prendre la peine d’écouter ce que racontaient les autres et ne consentions à nous taire que lorsque le pianiste du moment s’installait devant le demi-queue du salon. (il y avait toujours, parmi les convives, au moins un pianiste, et si par extraordinaire nous manquions d’hommes aux doigts d’or, papa s’y collait non sans s’être, au préalable, fait copieusement prier )

     Chacune des « demoiselles avec ou sans ailes » réclamait alors sa pièce favorite.

    Liouba, l’ainée, ne jurait que par la « Manon Lescaut » de Puccini et l’aria « Sola, perduta, abbandonata » de l’acte IV.

    Stassia la cadette préférait « la suite Bergamasque » de Debussy, dont le prélude tout en contrastes tranche avec l’humour du second mouvement et l’exquise tendresse du « clair de lune » qui lui succède.

    Enfin Sasha, la benjamine, n’avait de cesse qu’on ne lui jouât SON Tchaïkovski, à savoir l’Allegro non troppo e molto maestoso du concerto N° 1 pour piano et orchestre.


    « Mauvaise . Graine » quant à lui, plus habitué à la variété saturée de synthés des Golden 80th , écoutait ces merveilles d’une oreille maussade tout en se gavant d’Ouzvar de fruits séchés, sorte de compote très liquide à base de pommes, de poires, de pruneaux, de cerises et de raisins secs; et de Kissiels de lait à la cardamone, dessert utilisant la fécule de pomme de terre dont la consistance élastique et gluante ainsi que l’aspect louchement translucide aurait dégouté plus d’un gourmet; tant et si bien qu’il ne se passa pas un Dimanche sans qu’on le ramena vomissant tripes et boyaux, boulevard Exelmans.

    Paris de mes premières sorties : le « Queen » alors temple des nuits gays , l’ambivalence des bains à l’époque des Guetta , le « Man Ray » ou il arrivait qu’on croisa Johnny Depp, les « Moscow’s mists », mélange écœurant de lait et de vodka que l’on buvait dans de longs verres givrés, les quêtes désespérées aux dealers qui nous amenaient , intrépides, inconscients, aux confins de Stalingrad, surnommé « Superdrog » puisqu’il était possible de s’y procurer toutes les saloperies illicites possibles et imaginables, les retours en taxi d'improbables banlieues, si saouls que l'on mettait souvent plus de dix minutes à donner son adresse au chauffeur .

    Paris de mes dégouts et de mes répugnances. Paris ou j'aime abandonner mes feux et mes bourrasques, mon âme endolorie. Autheuil me va bien lorsque j’ai le cœur gris.

    Comme le jeune Dutronc il m’arrive de ne plus aimer Paris.


    Paris parfois me pèse, Paris parfois m’ennuie.

    Paris a perdu ses odeurs de campagne, ses allures de village que l’on trouvait encore, il n’y a pas si longtemps, à nos vieux quartiers.

    Paris trop fardée, se parfume d'Orient. On croirait le Bosphore aux rives de la Seine.

    Paris des beaux quartiers, à force de retouches, n’exprime plus qu’une sorte d’effroi poli.

    Paris n'a plus d'esprit depuis que Madame Verdurin est devenue Princesse de Guermantes.

    Paris est tout petit et nos amours immenses. Paris ne sait même plus parler le parisien.
    Paris, ta tour prend garde, il vont l'enrubanner de torchons de couleurs et de quolifichets, comme le Pont Neuf, hier, qui par un beau parleur se laissa emballer.
    Paris tes élégantes s'habillent à Milan.

    On ré-enterre Saint Laurent place Saint Sulpice, juste sous les balcons de la reine Deneuve et Chanel s'affiche en personnage de fiction dans les cinémas.
    Paris n'a plus grand-chose à proposer.

    Régine a mangé son boa, Castel ne va pas bien, Le Queen, sans talent, singe le Palace, et ta revue, Paris, gambille en boitant.

    Paris rabâche les mêmes expos vues cent fois ici et ailleurs, Paris se veut Broadway et ne sait pas danser, Paris exhibe ses vieilles gloires sur ses scènes navrées, dépoussière Tennessee, Pagnol, notre Tchékhov, l’eternel Feydeau, l’insupportable Claudel.


    « Le soulier de satin », en version intégrale, court son marathon au théâtre de l’Odéon .

    Onze heures de franche rigolade, de comique vertueux.


    Pour citer Guitry au soir de la première :

    « Heureusement que nous n’avons pas eut droit à la paire!"

     

     

    Paris de mes premières amours, une garçonnière rue de Verneuil, des baisers sur un quai de Seine, une étreinte sous une porte cochère du boulevard de Rochechouart, une rupture gare de Lyon ( « si tu prends ce train , tu ne me reverra jamais »), un diner aux chandelles qui tourna au pugilat dans un resto proche de la rue de Turbigo, de la pluie et des larmes sous les marronniers de la place Dauphine……Du cinoche que tout cela, mais Est-ce ma faute si j’ai toujours vécu mes amours comme de mauvais films ?

     Paris, mon Paris, moi qui suis citoyen du monde et dans le fond si peu Français. Un Paris que je fantasme. Un Paris que je n’ai pas connu. Un Paris en noir et blanc et cinématographe. Celui de Janson, celui de Prévert, le Paris d’Audiard.

    Paris, une femme flânant sur le boulevard du crime, distinguée et familière, si Parisienne.

     Un peu Avenue Montaigne, un peu Courbevoie.
    Intense et grave comme une toile de Van Dongen; elle ne ressemble pourtant qu'à elle même.

     Poétique, voici le mot, étrangère au paradis, indifférente à l'enfer ; elle n'est pas belle, elle est vivante. On la devine amoureuse de l'amour plus que des hommes, ignorant le péché puisque " c'est tellement simple l'amour ». Simple comme bonjour, aimez moi, adieu. Simple comme une valse chaloupée sur trois notes, trois pas, trois battements d'un cœur que rien n’affole.

     Simple comme le regard clair de ses yeux noirs qui ne voient pas le mal.

    Arletty ! Lady Paname !

    Paris, une chanson. Un duo.

    Catherine Deneuve et Malcom Maclaren.

    « Saupoudrez pour finir de poussière de métro mais n’en prenez pas trop »

     

    Catherine Deneuve et Malcom Maclaren: " Paris"
    podcast

     

  • " Mauvaise. Graine "


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    Faire son propre portrait, c'est comme essayer de retenir une poignée d'eau, d'air ou de lumière .

    C'est un exercice de style aimable , parfois poétique, un principe libre, néanmoins poli, bon ton, bon genre et dans lequel l'humilité lorsqu'elle laisse emerger sa longue tête squameuse tient plus de l'usage que du sentiment .
    Du reste, on ne laisse  jamais voir de sois même que ce que l’on sait bien travestir .


    Ce qui nous avantage !

    Ce qui nous donne bonne mine!

    Sauf les Mauvaises Graines.



    Une Mauvaise Graine ça se fiche de savoir comment et pourquoi ça pousse du momment qu'aucun tuteur ne vient la brider , ça se fiche du sens du vent tant qu’il souffle ses étamines vers de vaste inconnus, ça se fiche de devenir rose , lierre vénéneux ou chardon-gratte-cul.


    Ca croit anarchique, insoucieuse ,capricieuse parmis les sages graminées .

    Ca n'a peur de rien sinon de ce qui risquerait de la figer.

    Ne plus balancer à la fantaisie des bourrasques, ne plus s’étioler dans un poudroiement de soleil, ne plus ployer sous l’orage, ne plus filer à la vitesse d'un torrent entre les pierres ,au gré de son bon plaisir.

    Une mauvaise graine ça n'aime que la liberté et la vérité.

    On peut tout lui dire, mais pas n'importe quand et pas n'importe comment.

    En revanche une Mauvaise Graine ça ment depuis que ça respire ; pas pour nuire , non , mais comme au poker pour bluffer l'adversaire.

    Gourmande, la Mauvaise Graine sait que la vie est trop courte et trop froide pour y renoncer ainsi elle la savoure avec volupté.

    Ce qui la fait avancer ?

    Le désir et la curiosité.

    Si tout est trop installé, elle fuit.

    Une Mauvaise Graine, ça aime rire, danser, faire la fête, les alcools forts , les gaufres à la chantilly et la glace au nougat.

    Plus déjantée qu'on ne le croit, elle a l'air très raisonnable lorsque par ironie elle prend la pause mais en réalité , raisonnable , elle ne l’est jamais.

    Une Mauvaise Graine ça fait toujours fait passer ses amours et sa vie avant ses intérêts.
    Une Mauvaise Graine peut être sage en paroles, jamais dans ses actes.

    Une Mauvaise Graine ça dépense sans compter, ça se fout du lendemain.
    Une Mauvaise graine c’est toujours en mouvement, ça rêve et ça court après le temps .
    La vie d’une Mauvaise Graine est un long voyage.


    A Paris, la Mauvaise Graine se pose comme l’on tombe.


    Si elle vit la nuit, elle a besoin de longues plages de silence, mais même dans les grands espaces elle peut suffoquer.


    Une Mauvaise Graine ça vie sa vie à l’envers.


    Trentaine joyeuse et irrésponsable.


    Enfance studieuse, un peu grise, un peu fade, beaucoup moquée.


    Vania, comme les serviettes périodiques.


    Etonnez vous que se coltinant un prénom de ce poids elle ait tourné vinaigre .


    Et puis en vieillissant la Mauvaise Graine est devenue belle plante.


    Les regards ont changés et les mots.
    Plus question de protections hygiéniques !


    "-Vania ? interogeait on . Comme dans Tchékhov ? Qu’elle en est l’origine ?


    Ukrainienne ma couille !

    Kiev, la petite mère de la Russie, ses belles avenues de marronniers bruissantes d’oiseaux, ses palais, ses fontaines, son église Sainte Sophie dont les mosaïques polychromes comptent cents quatre vingt couleurs différentes.


    Kiev, son fleuve naguère charriant des marchandises venues du nord, de l’Iran comme de la Chine .


    « Un rêve qui se jette dans la mer » aurait dit Audiard !

    Kiev, trois cent soixante coupoles scintillant au soleil et que l’on admire du sommet des collines des grottes lointaines, au sortir des catacacombes ou gisent des moines parfaitement conservés.

    Kiev qui n’est que Russe et ne parle qu’au cœur.

    Il a fallu qu’il souffle bien fort le vent de l’histoire pour emporter toutes les mauvaises graines menant à Vania des portes de l’Orient aux rives de la Seine.


    Au fait , je manque à tous mes devoirs .
    Permettez moi de me présenter : V.V.S. M…. ; mais on m’appelle « Mauvaise. Graine ».


    Allez savoir pourquoi ?
     

     

     

  • " Présentation des Musiciens"

    zzzzzzzzzzzzz-v-by-fx-08.jpgVoici un peu plus de deux ans, pourvu de cette «  mâle franchise » qui se pare du beau, du rude nom de gaillardise ainsi que d'une inconscience si absolue qu‘elle touchait au cynisme, j’avais entrepris la rédaction de mon premier blog, un ricanant et mélancolique chef d’œuvre de posture intitulé «  Mauvaise Graine et les Garçons ».

     

    Provisoirement immobilisé à la suite d’un accident de voiture survenu au soir de mon trentième anniversaire, je m’étais imaginé que le fait de  raconter mon quotidien au travers d'instantanés plus ou moins inspirés, s’il ne m’aiderait pas à y voir  plus clair parmi les fanfreluches et les tremolos dont j’aimais à orner ma personnalité schizophrène, du moins me permettrait il de tuer les lentes et pesantes journées de quasi solitude auxquelles mon plâtre me condamnait.

     

    J'avais démarré cette aventure dans le déni le plus achevé, l'idée fondatrice étant de raconter de légers, de  croustillants petits contes défaits, d’amusantes historiettes sur la vie d’une certaine frange du gay Paris.

     

    Bref, j'entendais, dans des détonations de champagne, dans le cliquetis argentin des paillettes, acoucher d'une baudruche toute amusée d'elle même mélant sur un air encore assez badin vacheries, sexe et Show Bizz !

     

    Or, je m'aperçus  très vite que ce verbiage, aussi fardé, poudré, camphré fut il, se résumait à la seule glorification d'un Moi  dont le mérite s'avérait inversement proportionnel à la bouffissure qui le tendait à le rompre.


     

    Du reste, je n'avais rien à révéler de bien palpitant. Ma vie s’énonçait agréable partagée entre un métier souvent casse burnes mais pour lequel je me passionnais et  un entourage non moins ratatineur de valseuses mais aveuglément dévoué à ma triste cause.

     

    De problèmes je ne me connaissais que ceux que je prenais malice à me créer.

     

    Né coiffé, une cuillère en argent dans la bouche, pas d'effort spécial à fournir pour atteindre les objectifs qu'a vrai dire je répugnais à me fixer, pas de malhonnêteté flagrante entachant le fil immaculé de mes jours, pas de grand crime à confesser, aucun point de vue original sur la marche du monde, je ne possédais en somme  qu'un grand cœur écharpé mais en voie de guérison.
    Le lot commun de tous les gays trentenaire pour peu qu'ils se soient écorchés l'âme aux aspérités de la vie et de la nuit.


    Ainsi, très vite, l’encre peina à couler.


    Les mots boitèrent et je buttais.


    Christophe était là, déjà,  qui me souriait.

     

    Il avait bien du mérite tant je montrais de constanceà invoquer les mânes de mes amours défuntes pour échapper aux faux semblants de celles à venir.


    J’avais compris alors, non sans efforts, non sans réticences, qu’ il me faudrait désormais  m’occuper à vivre, à aimer, à revenir aux sources du moi, du jeu, du nous, qu’ il faudrait que l'écriture me devienne accessoire ou mieux qu’elle finisse par m’encombrer. Or elle se voulait exigeante, la garce, elle me talochait, elle me talonnait, elle aurait aimé que je lui consacre des heures.
    L'existence impudique que je menais sur ce blog m’était apparue soudain en subtil décalage avec mon histoire, passée ou présente, comme une version plus nue, plus franche, plus abrupte de celle ci.

    Infiniment embarrassante parce que touchée d' une lucidité dont je n'avais  pas toujours fait montre.

    Car enfin, admettez qu'il faut être gravement perturbé pour confier avec des mots choisis à de parfaits inconnus ce que l'on dit si mal à ces meilleurs amis ?

     

    J’avais donc cessé d’écrire du soir au lendemain, sans un avertissement, sans une explication, sans un adieu à mes lecteurs. Sans regrets ni  fanfares je m’étais engouffré dans ce qui sonnait comme la dernière grande histoire d’amour de ma vie.

     

    Christophe tel qu'en lui même enfin.

    Christophe le sublime, le magicien; Christophe l'alchimiste, l'envouteur; Christophe devenu l'unique objet de mes obsessions intimes comme la cause ultime de mes plus rudes navrances; Christophe le voleur envolé, clair regard d'or vert et sourire blanc.

     

    Dans le premier billet que je lui consacrais alors, je définissais Christophe du seul adjectif, qui me vint à l’esprit, un adjectif lapidaire et clinquant , dont l'écrasante hauteur me semblait en parfaite adéquation avec un orgueil du sang que trahissaient par touches discrètes, le timbre parfois trop appuyé de sa voix ou certains de ses gestes, tel ce revers de main vif comme un soufflet, par lequel il congédiait les importuns; orgueil du sang auquel j'attribuais, sans doute un peu vite, son mutisme polaire, ses fraîcheurs boréales, sa réserve, un rien boudeuse, un rien ennuyée et qu’il ne cherchait pas à travestir lorsqu’il s'engageait, d’un pas d’écrevisse, sur les chemins qu’à coups grossiers de machette je lui ouvrais, dés lors que ces sentiers d'infortune ne conduisaient pas au sacrifice noblement consenti de mon lit.


    Je le disais princier.

     

    En toute partialité, en toute immodestie.
    Prince des fleurs de Lys, proche parent de France, sans doute ne l’était il plus tout à fait, tant la race, une fois descendue des échafauds de la terreur avait mis de rage à remonter son prestige au prix de factions politiques douteuses, de volte-face, de trahisons et pire encore d’alliances boutiquières, néanmoins il restait aux derniers du nom encore suffisamment de sève, de finesse, de distinction supérieure pour imposer sans efforts notoires une prééminence qui les rangeaient à part du commun des mortels, tout en les figeant dans une pose qui bien qu’elle sentit un peu la poussière et le renfermé ne manquait ni d’allure ni de panache.
    Comme on ne prête qu’aux riches, on pardonne volontiers aux aristos de hausser un peu loin leurs cols à guillotine maintenant que les Altesses font la pige aux vedettes de Cinéma, maintenant que le enfants des tricoteuses et des accusateurs publics canonisent des dindes couronnées dont les brushings de premières vendeuses, les élégances tartignoles, les grâces trébuchantes, les éternelles conjonctivites accompagnent à ravir des destinées sentimentales de feuilleton télé.
    Au début de notre liaison, vaguement flatté de toucher au fait du Prince, je trouvais commode de réduire ce Christophe dont je ne parvenais pas à percer les brumes de silences, à son ascendance éminemment aristocratique.


    J’y mettais, il est vrai, une pointe d'ironie tout à fait mesquine, un peu à la manière d'un obscur hobereau au spectacle d'un courtisan, lorsque tout enrubanné de faveurs Versaillaises, tout agité de poudre et de parfums, ce dernier daignait souiller ses points de Venise et le rouge Cardinal de ses talons dans le bourbier des basses cours d'ou il tirait ses carrosses et ses colifichets.

    Si Christophe n’était pas le dernier à railler son nom à rallonge, la kyrielle de titres qu’il trainait à ses basques comme une charrette nuptiale éparpille son vacarme de boites de conserves, ses ancêtres dont les portraits s’exposaient dans les musées tandis que leur gloire et leurs méfaits n’en finissaient pas de ricocher, des pages des livres d’Histoire à celles des romans populaires, il y avait dans le dédain qu’il affichait pour sa particule une certaine part de vanité.
    Il en riait, certes, mais sans jamais laisser oublier qu’il en possédait une, comme il ne manquait pas de rappeler sous couvert de dérision, l’insolente devise familiale selon laquelle alors que le monde n’était pas encore monde, les siens, déjà portaient les ondes.

     


    Pour couronner un peu plus son front à diadèmes, Chris est beau.
    Chris est beau et il s'en fiche.
    Ou du moins, disons qu'il n'en tire nulle vanité.

    Il a le triomphe modeste et l'âme charitable. Il porte cette beauté à la manière d'un bijou précieux dont il ignorerait la valeur. Jamais il ne l'utilise pour humilier ou brocarder qui que soit. Jamais il ne lui viendrait à l'idée d'en tirer avantage.
    Amateurs d‘Adam nus, de nombreux photographes, lui ont fréquement proposé de poser pour eux. Alors que n'importe quelle tapiole de base, folle de joie, se serait roulée dans la poussière en mugissant comme une sirène d’incendie; Chris, lui, se contente, très poliment mais non sans fermeté, de décliner l’invitation.
    Lorsque je l'interroge sur les raisons de ses refus, il me contemple avec un air d’incompréhension.


    « _ Ca ne m'aurait rien apporté, V. me dit il, marri que je sois trop bête pour saisir l’évidence.


    Chris n'est pas frivole.

    Chris est, ce que l'on appelle prosaïquement, une bien belle personne.

     


    Cherchez la faille, creusez, diguez, vous ne trouverez rien, sinon d'immenses qualités.

    Intelligent, probe, réfléchi, engagé, sérieux comme pape en Vatican ; ce gamin me désespère chaque jour d’avantage.

    Où sont les rudes scories des hommes que j'ai aimés avant lui ?
    Que sont devenus les gueules d'aboyeurs que je fermais d'un baiser ?
    Comme ils riraient, mes ogres cannibales, s’ils me voyaient aujourd’hui, moi qui n'aimais que les orages, croiser sur les eaux lisses d'un tiède conjungo en compagnie d'un petit garçon modèle que même la comtesse de Ségur eut trouvé trop sage.


    Enfin, lorsque je parle de conjungo, il ne faut rien exagérer. Chris habite chez ses parents près d’Opéra.

    J’habite un vaste appartement, un pâté de bâtiments plus au sud.


    Il vient parfois chez moi. Je ne vais jamais chez lui.


    « _ Cette affluence, proteste Chris. Je ne sais pas comment tu supportes tout ce passage.


    Parfaitement bien, jeune homme, n'ayez crainte.


    Mon appartement est connu dans Paris sous le nom d' " Auberge du 6eme bonheur ».
    La plupart de mes amis en possèdent la clé.
    On y entre comme dans un moulin. On y dort; on y dîne.

    On y séjourne trois jours ou trois mois.

    On y soigne ses peines de cœurs.

     On y cache ses liaisons.

     Il m'est arrivé de trouver des couples dans mon propre lit, occupés, vous vous en doutez, à jouer aux cartes, de parfaits inconnus dans ma salle de bain, de vieilles connaissances, oubliées depuis longtemps, assoupies sur mes canapés.

     

    J'adore cette ambiance brouillonne de perpétuelles vacances, ces va et viens incessants qui donnent à mes salons un air d’Italie.


    Chris, lui, ça l’emmerde.


    Sommes-nous pour autant si différents ?

    Et ne venez pas évoquer comme point de discorde les six années qui nous séparent. Après tout je possède de beaux restes, et croyez moi, Chris est passé maître dans l'art de s'en accommoder.


    Bref……


    Nous lisons Proust et « Voici ».
    Nous écoutons Rachmaninov et Mika.

    Nous aimons le silence des musées et la fureur des bordels.
    En revanche, là où il se montre calme, pondèré, serein; je me révèle volcan en perpétuelle éruption, grande gueule incapable de la fermer.
    Là ou il verse dans la mélancolie et la discrétion ; je m’épanche dans l’emphase et l’exubérance.
    Là où il est adulte, je suis enfant.
    Il a planifié son existence avec une rigueur effrayante, au point que je ne serais pas étonné qu'il ait déjà souscrit une convention obsèques.

    Je suis incapable de vous dire ce que je vais faire dans une heure.


    « - La vie est unetrajectoire rectiligne . Aime t il à répéter.


    (La tienne peut être, poussin ! La mienne n'est que circonvolutions.)


    Il est terrifié à l'idée de prendre une mauvaise décision et de se retrouver à l'heure du dernier bilan encombré de regrets.
    Mais, que connaît-il, enfin, au charme des regrets, aux possibilités infinies cachées derrière ses portes que l’on a choisi un jour de laisser fermées et devant lesquelles on ne peut passer sans que l’imagination ne s’enflamme et un délicieux pincement au cœur ?

    Que sait il de l'amère beauté des " si j'avais su «, " si j'avais pu " et " si c'était à refaire " ?
    J"ai de beaux souvenirs et des regrets magnifiques.


    « - Mais quand te décideras tu à devenir raisonnable ? Me demande t il régulièrement.
    Comme d'habitude je m'en tire d'une pirouette.
    « - Quand on me clouera au sapin de l’enterrement.
    Il cache son visage dans ses mains.


    Atterré !


    Alors, me direz vous, que faisons nous ensemble ?
    La réponse est simple.
    Je le fais marrer, il me fait bander.
    Je suis le clown blanc de sa piste aux étoiles ; il est l'illusionniste de mon ciel de lit.
    Je sais que ce n'est pas suffisant, que l'on ne battit pas une vie sur des rires et des râles.
    Nous avons tenté cent fois de rompre le lien d'acier ténu, qui nous uni l’un à l’autre.
    Sans grande réussite, à vrai dire.
    Nous nous quittons toujours un peu en froid, vaguement boudeurs mais pas vraiment séparés.

     

    Du reste, nous nous quittons de moins en moins.

     

    C’est enfin à Christophe que l’on doit mon retour au sein de la blogosphère -et certains d’entre vous le voueront probablement en raison de cette atteinte au bon goût, à des gémonies susceptibles de faire passer le supplice du pal, ce petit jeu qui commence si bien mais qui fini si mal, pour un interlude Virgilien -  .

     

    Ainsi, le week -end dernier, privé de mes précieuses que j’étais allé saintement baigner aux rives miraculeuses d’une  Méditerranée aussi azurée qu’un manteau de Marie, ceci  dans l’espoir hélas déçu de les débarrasser d’un début de flétrissure somme toute très banal à mon âge, dans mon état et à l’heure qu’il est, Christophe ne trouva-t-il rien de mieux à faire pour tromper son ennui - et sans doute pour éviter de me tromper moi-même avec le premier miroir à putain venu- que de relire mon ancien blog.

     

    « - Tu sais, finalement, ce n’était pas si mal ce que tu écrivais, me dit il dés mon retour, avec au visage un air d’angélisme qui lui eût valut une canonisation immédiate s’il n’avait ouvertement et sans la plus pauvre pudeur revendiqué d’un penchant déplorable mais que je me gardais bien de déplorer pour certains vieux beaux toutefois équipés d’accessoires encore en état de marche.

     

    J’en étais resté cois tant par le passé j’avais eût à redouter les franches moqueries dont mon camarade de jeu se plaisait à accabler une prose «  aussi cambrée dans sa vanité qu’un pied de marquise dans son soulier de satin. »

     

    « - Tu devrais continuer, ajouta t’il sans même se marrer. Ca t’éviterait de penser à mal lorsque je quitte Paris.

     

    J’objectais piteusement, une fois ma voix retrouvée, que de penser constamment à lui, qu’il se trouve dans la pièce voisine ou à Tombouctou n’était pas penser à mal, qu’en conséquence  débordant d’une légitime félicité au creux de ses bras je ne voyais pas la nécessité d’encombrer la pédésphère des récits extatiques d’un bonheur qui du reste ne se raconte bien que lorsqu’il est perdu.

     

    Christophe avait souri finement tout en ébouriffant d’une paume tiède et humide les poils de mon torse nu.

     

    « - Heureux ? Toi ? Comme si tu pouvais le rester bien longtemps ! Ecris mon amour ! Ecris pour toi, écris à propos de nous. Ecris en souvenirs de nous, écris  pour  lorsque heureux nous ne le serons plus. »

     

    Véronique Sanson: "Amoureuse".

     


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