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  • " Tout l'amour d'une mère."

    zzzzzzzzz-mom-sandra.jpgAnne Marie fait partie de ces femmes que l'on remarque immédiatement, fut ce au sein de la foule la plus dense.

    Jolie, évidement, mais au fond plus que cela.

    Un port grave, bien que de haute couleur, d’Impératrice déchue, l'attitude lente, menaçante d'un flot de lave en marche, une tournure sur laquelle n’importe quel vêtement tombe à ravir , une bouche immense, nerveuse, prompte au rire et au baiser, un nez légèrement busqué, un teint d'Andalouse, des yeux pales et froids, une chevelure à la richesse diaprée de pelage animal.

    Je l’observais en coin, tandis qu’elle hésitait ente une sage robe blanche à peine soutachée d’or et une autre, plus audacieuse aux couleurs franches et heurtées, dont la coupe asymétrique dénudait jusqu’en haut des cuisses ses jambes parfaitement halées. Je trouvais à ma mère un air de fleur exotique et fascinante, capable de souffler le poison de ses étamines sur la gent masculine comme un vent blizzard souffle sa petite misère sèche et glacée sur les géants fourbus de Manhattan.

    Si nous n’avions été mère et fils, sans doute nous serions nous entendus avec l'évidence avide et insoucieuse des lendemains de ceux pour qui le bout de la nuit à des allures de bout du monde.

    Anne Marie s’agitait un peu, plus pressée d’en finir avec sa toilette que gênée par ma présence. Elle parlait beaucoup, de tout et de rien, posait des questions dont elle n’attendait pas de réponses.

    «- Qu’est ce que tu en penses, je mets la blanche ou l’autre? L’autre, hein! La première fait un peu bourgeoise de Province. Idéale pour Zurich et ses soirées à périr. Paris demande un peu plus de fantaisie. Pour les bijoux, tu préfères quoi? Perles? Diamants? Non, ça ne va pas. Les perles font trop modestes, les diamants trop prétentieux. Je vais porter mes émeraudes, même si je ne les aime pas. Elles vont bien avec mes yeux et puis une touche de vert allégera un peu mon bronzage. Tu as vu cette camelote? Dernier cadeau de ton beau père. Cet abruti c’est fait avoir, il n’y a pas une seule belle pierre. Au fait j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle à t’apprendre; je commence par laquelle?

    J’avalais lentement une gorgée de Scotch à peine moins glacé que mon attitude depuis mon arrivée dans sa chambre d’hôtel.

    « - Ma chère Anne Marie, une mauvaise nouvelle te concernant ne saurait pour moi en être tout à fait une.

    Penchée en avant elle fermait sur sa cheville la bride d’une sandale au talon démesuré, apparemment insensible à mes insolences.

    « - La bonne donc! Je divorce.

    Je fis tourner lentement le restant du Scotch dans le fond du verre, conscient que mon apparente nonchalance n’abusait pas cette fine mouche.

    « - Ca ne fera jamais que la troisième fois. Quel crime a commis papa Schultz? Il t’a trompée avec une meule de gruyère?

    Elle haussa légèrement les épaules, se dirigea vers la salle de bain seulement vêtue de ses sous vêtements et de ses chaussures, y disparut le temps de rafraichir un maquillage qui n’en avait nul besoin, revint dans la chambre du même pas indifférent tout en attachant aux lobes de ses oreilles de longs pendants d’émeraudes.

    « - Même pas, j’ai assez vu sa gueule de boche, voilà tout, dit elle d’un ton détaché. J’en ai ma claque de ces Fridolins et de leur morale Calviniste, des diners du Lundi chez les Wallenstein, du gin- rummy le Mardi, d’Haendel ou de Bach le mercredi, des charités du Jeudi. Et je ne te parle pas des Week-end à Ascona, du lac Majeur et du parfum des iles Borromées. C’est triste et chiant comme du Lamartine. Vraiment je n’en peux plus de me montrer toujours impeccable et polie, souriante et aimable avec les associés de mon mari, de subir toutes leurs conneries comme si elles me passionnaient. Leurs affaires auxquelles je n’entends rien, leurs mômes limite mongoliens à force de mariages consanguins, leurs bonnes femmes laides et lisses. En plus ils me prennent tous pour une sorte de Messaline. Et que je cherche à te peloter les seins, et que je te touche un peu les fesses. Je veux bien être gentille mais pas au point de me taper toute la bande à Neuneu juste pour ne pas casser l’ambiance. Heureusement que j’ai mes copines Italiennes et Américaines, sans quoi je serais devenue folle depuis longtemps. Tiens, tu m’aides à fermer ma robe s’il te plait? Donc voilà, je quitte mon peine à jouir d’époux. Et je pars comme une pied noir. Une main devant une main derrière.

    Je fermais sèchement la dernière agrafe au milieu de son dos, étreint par des sentiments contradictoires ou la colère d’être pris pour un imbécile le disputait à un amusement vaguement amer.

    «- A qui prétends-tu faire croire pareille énormité ?

    Nous échangeâmes un bref regard de défi, semblable au choc froid et étincelant de deux rapières.

    « - Je t’assures, je ne veux rien de lui. Enfin si, juste le chalet de Gstaad, mes bijoux évidement et deux ou trois babioles auxquelles je suis sentimentalement attachée.

    « - Genre le Matisse, l’Utrillo et ton portefeuille d’actions. Je t’imagine mal « sentimentalement attachée » à quoi que ce soit qui n’ait pas de valeur pécuniaire.

    Dans un sourire bon enfant, Anne Marie vint poser sa main aux longs doigts bagués sur mon épaule. Je me retins avec peine de frémir comme au contact des écailles empéstées d'un crotale.

    « - Mon chéri, je te dirais bien d’aller te faire endaufer mais ça te ferais trop plaisir, murmura t elle tandis que ses ongles mordaient cruellement ma peau à travers le voile de ma chemise. Du reste, si tu m’avais écoutée toi aussi tu aurais choisi un homme riche plutôt que de t’amouracher de ton ramassis de crève la dalle. Enfin, n’en parlons plus, de toute manière tu es bien trop vieux maintenant pour la pèche au millionnaire.

    D’un mouvement sec je me dégageais de ses griffes. Son bras retomba brutalement le long de son corps dans un feu d’artifice de gemmes.

    « - Je suis vieux à trente trois ans alors que toi, tu es encore jeune à  cinquante et un. J’aime beaucoup ton sens du paradoxe ma petite Anne Marie.

    Dans un rire qui manquait de spontanéité elle suivit le contour de mon profil du bout de l’index.

    « - Pour le cas ou tu ne l’aurais pas remarqué les pédés et les hétéros ne se fanent pas à la même vitesse. Vous êtes périmés dés vingt cinq ans, mettons vingt huit; alors qu’une femme bien entretenue possède une espérance de vie au-delà de la cinquantaine. Regarde-toi un peu Vania! Cette horrible barbe de boucanier, ces tatouages de fausse frappe, ces fringues de vieux minet, ces boucles d’oreilles comme on en porte plus depuis les golden 80’s. Tu es un désastre ambulant mon pauvre enfant. Une caricature de pédale sur le retour. Oui je sais, une foultitude de jolis jeunes gens s’accrochent à tes basques. Les pauvres n’ont que l’embarras du mauvais choix. Remarque, dans le milieu que tu fréquentes, tu dois représenter ce que l’on trouve de moins pire. Je suis très déçue, Vania, j’avais fondé d’immenses espoirs en toi. Nous aurions put former un tandem formidable tous les deux. J’aurais été une fag hag exceptionnelle et toi un faire valoir du tonnerre. Seulement voilà, tu refuses d’évoluer, tu te complais à jouer les ados attardés. C’est pitoyable mon fils.

    Je reculais d’un pas, plus meurtri par l’attaque que je ne l’aurais imaginé. Pourtant, ce fut sur un ton de badinage que je lâchais mes chiens.

    «- Moins que d’être une demi pute vieillissante probablement larguée par son mari pour un modèle plus récent. Si tu t’imagines encore pouvoir accrocher un gros richard avec tes nichons en plastique et tes lèvres à déboucher les chiottes je crains que tu ne te foutes le doigt dans l’œil jusqu’au coude.

    Tranquillement, elle nous servit deux verres, me tendit le mien tandis qu’elle portait sans y boire le sien à ses lèvres.

    «- Toujours aussi perspicace à ce que je vois. Pour ta gouverne, crétin, je me marie en Juillet.

    J’esquissais un mouvement comme un repli.

    «- Attends, je ne te suis plus là. Tu divorces ou tu te maries ?

    Elle savourait son Scotch, les yeux mis clos, le visage obscur et clair à la fois, glacé.

    «- Les deux. Je divorce d’un Suisse pour épouser un Italien.

    Je laissais échapper un petit ricanement de mépris. Soudain sa beauté me devenait insupportable au point de la haïr.

    «- Tu es courageuse! Lâcher un Suisse pour un Italien ! En pleine crise économique !

    Elle m’observa d’un air absent juste avant de me tirer une balle en plein cœur.

    « - Il construit des automobiles. Crise ou pas crise, je doute que nous en revenions aux chars à bœufs. Tu vas l’adorer, j’en suis certaine, d’autant qu’il est d’une beauté stupéfiante. Si tu es très sage avec maman, peut être que maman te le prêtera de temps en autre.

    Décidement, j'adore ma salope de mère!

  • " Le Diable en nos murs."

    zzzzzzzzz-mom-08.jpgAlerte rouge sur la capitale !

    Avis de tempête sur ciel serein !

    Pic de pollution inégalé attendu à partir d’aujourd’hui et jusqu’à une date indéterminée !

    Les pigeons tournoient dans l’air vicié avec des cris d’agonie. Les poissons flottent le ventre à l’air sur le grand fleuve empoisonné. Les rosiers aux jardins ne sont plus qu’un entrelacs de ronces. Déjà les fontaines murmurent des anathèmes.

    Chez les couturiers, les premières vendeuses hoquettent de terreur et songent au suicide.

    La moitié du personnel du Ritz a démissionné. Restés à leurs postes, les téméraires portent des gilets pare-balles et des casques à visière.

    L’apocalypse est pour ce soir.

    Amis Parisiens fuyez lorsqu’il est encore temps.

    Tous aux abris ! Rejoignez vos caves ou vos bunkers.

    Si vous êtes contraints de sortir évitez absolument la place Vendôme et ses abords immédiats.

    Le mal absolu à quitté la Suisse et insidieusement se répand dans nos rues.

    Le Diable rode en nos murs.

    Lucifer arpente de son pas sacrilège les trottoirs de nos avenues.

    Satan vous observe derrière les vitres fumées de sa limousine.

    Si par malheur vous croisez son regard, vous serez attiré au cœur d’un cercle maléfique dont vous ne reviendrez pas.

    Souvenez-vous de ce dialogue extrait du film de Michel Audiard, « Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des Canards sauvages. » :

    « - Messieurs, si je vous ai arraché à vos pokers et à vos télés, c’est qu’on est au bord de l’abime, la maladie revient sur les poules. Et si je n’étais pas sur de renverser la vapeur, je vous dirais de sauter dans vos autos comme en 40. Le tocsin va sonner sur Montparnasse, il y a le cholera qui est de retour, la peste revient sur le monde, Carabosse a quitté ses zoziaux, bref, Léontine se repointe. »

    Voici un paragraphe que je pourrais reprendre à la virgule près.

    Il me suffirait pour me l’approprier de changer le prénom de Léontine en celui d’Anne Marie.

    Tremblez hommes sages et vertueux, tremblez les canailles, tremblez les corrompus, la bête aux mille visages est de retour ; Anne Marie est à Paris.

    Elle m’a appelé hier, alors que je me trouvais au bureau.

    Bien entendu, elle avait prit soin de masquer son numéro. J’ai commis l’erreur de décrocher tout de même.

    « - Chéri, c’est maman !

    J’ai failli répondre qu’il y avait erreur sur la personne tant le mot « maman » est étranger à mon vocabulaire. Au lieu de cela j’ai bredouillé une vague formule de politesse restée lettre morte.

    « - Joyeux anniversaire! 33 ans; l’âge du Christ! Frères Chrétiens, taillez la croix, préparez les clous, peu importe mon fils ressuscitera tout de même au troisième jour. Pour l’occasion je ferai un saut en ville à partir de demain. J’espère que nous pourrons nous voir.

    Je paniquais, mouillé de sueurs acides, un goût de cendres, un goût de feuilles mortes plein la bouche.

    «  - Bé c'est-à-dire que je suis très pris en ce moment et….

    Un soupir agacé dans le combiné. Une voix sarcastique toute fardée de tabac blond et d’alcools blancs. Un ton qui ne souffrait pas la réplique. Ma mère telle qu’en elle-même enfin elle ne cesserait d’être.

    « - Et bien tu te libéreras. Passe me prendre Samedi vers 22 heures à mon hôtel, je t’emmène souper.

    Ayant dit, elle raccrocha tandis que je me maudissais de ne pas avoir prévu de passer le Week-end au fin fond du Ténéré.

    A l’annonce de la grande nouvelle, ma belle mère s’alita prise de fièvres et de vomissements , mes tantes réunirent leur progéniture et prirent aussitôt la route de « Feuilleforte », quant à papa nous ignorons encore si nous parviendrons à le ranimer.

    Sur ces quelques mots, je vous dis adieu, mes enfants chéri.

    Je pars affronter ce démon, auquel parait il je ressemble tellement. Il est vrai qu’elle m’a légué ses yeux et sa bouche. Enfin, son ancienne bouche, celle d’origine.

    Je crains de ne pas survivre à ce nouveau combat.

    Certes je suis armé jusqu’aux dents, cependant, comme vous le savez sans doute, le Diable gagne toujours.

  • " Double pénétration."

    ZZZVANIA-14-02-09.jpgJ’ignore ce qu’il m’arrive ces temps derniers mais les garçons s’agglutinent autour de moi ainsi que des mouches cantharides sur un étron bien frais.
    Peut être devrais je changer de parfum.
    Je n’ai pourtant pas embelli, au contraire. Les fatigues consécutives à ma récente cabriole, puis les excès en tous genres depuis ma guérison ne m’ont pas arrangé, c’est le moins qu’on puisse dire.

    Je ne suis pas davantage en attente, ni en demande.
    Je n’exhale pas à ma connaissance, ces troubles phéromones à l’aura hypnotique qui indiquent au prédateur la disponibilité d’une proie.
    Du reste la rengaine demeure la même depuis l’éternité des jours ; lorsque vous êtes seul, personne ne vous convoite ; en revanche, lorsque vous êtes accompagné vous devenez, comme par enchantement l’obscur objet du désir général.
    Pourquoi ? Mystère et boulles de conne.

    Notez que je ne m’en plains pas puisqu’au cas où quelque Goito ne l’aurait pas remarqué, j’aime plaire autant que je m’attache à déplaire.
    Je me donne, ainsi, un mal de tous les diables pour dans la même phrase, le même regard ou le même sourire, parvenir à séduire et à agacer tout à la fois.

    Papa m’appelle « Kate », par référence à l’actrice Américaine Katherine Hepburn (aucun lien de parenté avec Audrey comme le suggérait cette pédale honteuse de Cary Grant) c’est dire si j’excelle dans cet exercice.


    Cependant, il arrive que je tombe sur un os, un garçon plus futé et plus sarcastique que je ne le suis moi-même.
    Car aussi improbable que cela puisse paraître cette engeance existe bel et bien.
    Certes, ces êtres d’exception ne sont pas très nombreux, toutefois, la présence d’un seul d’entre eux dans mon environnement immédiat suffit à me désobliger.
    J’ai cela en commun avec ma mère, et cela uniquement, Dieu en soit loué.
    Je ne supporte pas de ne pas être la reine du bal.

    Ainsi, hier soir, ou plutôt cette nuit, tandis que, telle la groupie du pianiste chère à France Gall – Souvenez vous , cette chanteuse qui passa des sucettes à l’anis au bâton de Berger - , j’attendais affalé contre l’angle du rade, l’esprit engorgé de scénarii crapuleux, qu’Andrea termine son service pour l’accompagner jouer à « Ride with the devil » dans son nid de bite aux moiteurs Africaines, j’eus la surprise de me voir aborder par un monsieur d’une belle quarantaine d’années à la moustache fringante, à la brosse martiale , et aux allures de dernier Kaiser.
    Un vieux beau, encore pas mal, ne doutant pas à l’évidence de sa bonne fortune, à moins qu’il ne m’eut pris pour un gigolpince en quête de picaillon.
    Il m’approcha de manière on ne peut plus classique, frétillant du zob, l’œil bleu de Prusse luisant de concupiscence, le sourire tout en canines.

    « - Bonsoir futur mari !

    Et ta sœur, elle bat le beurre à la paluche dans la culotte du zouave de l’Alma ?

    Je grimaçais un sourire de traviole, ni engageant ni particulièrement réprobateur.

    « - Tout suite des mots d’amour !

    Mon enthousiasme mitigé « cochon –dinde », ne le décourageant pas il enchaina en mode embobelineur.

    « - Tu es très charmant.
    « - Je sais ! répliquais-je, avec toute l’exquise modestie, la candeur bonhomme, qui me caractérisent.
    « - Tsss, il le sait en plus qu’il est « cute » ! chuinta le chonchon, un chouia chambreur.

    Plus hautain que le prince de Mes deuze lors d’une Garden party chez Lizzie la reine du bibi fricotant, je le dévisageais non sans une certaine arrogance.

    « - Figure-toi que mes miroirs ne sont pas en contre-plaqué. Et quand bien même le seraient ils, il me resterait toujours les yeux des garçons pour me rappeler, qu’effectivement, j’ai un beau « cute ».
    « - Je n’en doute pas, mon joli. Tu me parais en forme en tout cas. Comment vas-tu ? s’enquit il, toujours aimable.
    « -Très bien merci. Et toi ?

    De la main, il fit signe à un Andrea, franchement amusé, de remplir nos verres.

    « - J'ai passé deux semaines un peu dures. Tout a mal commencé par une angine, et s'est très mal terminé avec la mort d'un ami...mais ça va mieux!

    Certes, surtout pour le mort !

    « - Je suis sincèrement désolé !dis je sans la moindre conviction, ni la moindre sincérité.

    D’un geste vague il me signifia qu’il se fichait de mes condoléance comme de sa première chibouque.

    « - C'était un sacré rigolo. Déjà il est mort dans son sommeil. Par surprise. On a tous cru que c'était sa dernière blague, mais futé comme il était il s'est débrouillé pour nous en faire encore une. Arrivés au cimetière Mercredi, les fossoyeurs avaient oublié de creuser la tombe! Du coup on l'a mis dans la fosse commune en attendant. Il sera finalement ré-enterré Lundi !

    Andrea posa les verres devant nous tout en m’adressant une petite grimace complice dont la cabouleuse locataire nocturne de mon corps depuis qu’on me laissait sortir sans chaperon décrypta sans mal le sens caché.
    Pousse à la consommation, baby, tu seras payé au bouchon.
    Me revinrent en mémoire les conseils que me donnait Walter, le mari de la femme de mon père, du temps où j’étais aussi naïf qu’une hirondelle de Dubillard

    « - Vous êtes très connes les tapettes actuelles, constatait il, navré. De mon temps c’était autre chose! On savait michetoner crois moi ! Il suffisait de balancer au clille un petit regard en coin ; un petit regard qui « voudrait-bien-mais-ne peut-point » pour qu’il tombe des roteuses comme Mars en Carême. Aujourd’hui vous vous faites sauter pour le prix d’une conso. Résultat des courses, le métier se barre en sucette ! Tout ça pour te dire que si tu veux boire à l’œil il va falloir faire ronfler le comptoir, et donc offrir du rêve .Il va falloir me les travailler au corps ces grosses tapiolasses pleines de monnaie ; me les vamper façon Ava Gardner dans les séries noires de la Métro ; l’ essentiel étant de leur laisser croire que tu pourrais très facilement basculer dans leurs lits, alors même qu’il t’est bien entendu, déconseillé de coucher avec eux. La subtilité tient dans le fait de parvenir à changer ces baltringues en torches vivantes sans jamais leur donner autre chose que de grandes espérances ; car, vois tu, lorsqu’un péquin a couché avec toi, tu ne l’intéresses plus, tandis que s’il se languit de coucher avec toi il multipliera à plaisirs ces petites attentions charmantes qui font que, peut être, un jour tu lui céderas. »

    David et moi étions très vite devenus des experts à ce petit jeu d’autant plus malsain que l’un comme l’autre avions largement les moyens de payer nos verres et bouteilles.
    Mais l’on n’est pas sérieux lorsqu’on a dix sept ans.
    Nous parions à celui qui se ferait inviter le plus. Il nous arrivait certains soirs d'avoir jusqu'à trente verres disséminés sur les comptoirs et dans les salles ; de quoi tomber à la renverse en moins d'une demi-heure. Nous contournions le problème avec des souplesses de marlous et des ruses de vieilles effeuilleuses. L'astuce était simple ; torses nus, le premier bouton du jean dégrafé pour détourner l'attention du chaland ; nous acceptions la boisson, y trempions nos lèvres pour la forme, discutions deux minutes le verre bien calé au creux de la paume afin d’en dissimuler la ligne de flottaison, puis prétextant une excuse quelconque, nous filions vers une autre table ou vers un autre comptoir pour y recommencer le même manège. Généralement l'alcool finissait dans l'évier ou dans des jarres planquées dans les coins sombres des salles à cet effet. Bref, nous ne risquions pas de choper une cirrhose ou une interdiction bancaire.


    Ainsi, en souvenir de cette époque insouciante, je fis l’effort de m’intéresser aux histoires de cadavre voyageur que l’on me narrait bien qu’elles me parussent un tantinet halogènes dans le contexte d’un bar gay ou des pintades hallucinées se déhanchaient au rythme d’une pop acidulée.

    « - Il est mort de quoi, ton pote ?

    L’antiquaille se hissa souplement sur le tabouret voisin de celui que j’occupais.

    « - C'était un garçon qui avait un sens de l'humour très acéré! Il est mort d'un cancer.

    Effectivement ça doit être désopilant d’avoir un Cancer ! Vivement que j’en chope un, histoire de me gondoler à Villejuif.

    Sans aucun esprit de provocation je levais mon verre à la santé du mort, si je puis me permettre une métaphore macabre.

    « - Qu’il repose en paix !
    « - Mémoire éternelle. Bon, à part ces considérations funèbres, quelles nouvelles? Personnellement, j’ai regardé à la télévision l'émission sur l'enfant du temple, Naundorff, Richemont et les autres faux Dauphins.

    Ne connaissant que les dauphins du « Grand bleu » dont je doutais qu’ils fussent faux, j’affichais l’air de finesse de celui qui n’a rien compris au film mais entend l’expliquer aux autres.

    « - J’'ai combattu ces vagues étoiles de la grande Ourse qui dans une brume rouge /vodka, m'interdisant la plus pauvre pensée ; dis-je, un peu ivre donc vaguement poète.

    « - Voilà qui est joliment décrit ; s’exclama mon interlocuteur dans ce qui me sembla être un éclair de moquerie.

    Je le toisais, aussi pédant que pédale.

    « - Ca ne te rappelle rien ? " Vaghe Stelle dell'Orsa " ? Un film, par exemple.
    « - Je n'ai aucune culture cinématographique italienne, et d'ailleurs je n'ai aucune culture cinématographique tout court; admit il sans chercher à se faire passer pour l’imbécile qu’il n’était sans doute pas.

    Enchanté de pouvoir étaler mon savoir, j’enchainais à plaisir.

    « - " Vaghe Stelle dell'Orsa " est un vers de Giacomo Leopardi que Luca Visconti a reprit comme titre de l’un de ses films avec Claudia Cardinale et Jean Sorel, un film baptisé en français " SANDRA" et dont l'action se situe, pour la plus grande partie, dans la lumière étrusque de Volterra. Une histoire d’inceste.
    « - Je vais surveiller le "cinéma de minuit". Et en dehors de la grande Ourse, que me racontes-tu de beau ? demanda t il, pas impressionné du tout par l’étendue de mon savoir.
    « -Rien je fane dans le banal, je frisotte dans le médiocre, j'attends un rêve trop grand pour moi et qui se jetterai dans la mer, confessais je en proie à une crise de franchise aussi subite qu’incongrue.

    « - Peut-on savoir quel serait ce rêve ? glissa t-il en se rapprochant davantage.

    Je reculais, immédiatement mon siège.

    « - Celui de toutes les filles perdues aux cheveux gras, J'attends l'amoooouuuur !

    D’un regard dans lequel l’ironie le disputait à l’intérêt, pépère bigla mon crâne fraichement tondu luisant sous les néons de couleurs tel un œuf Fabergé dans une vitrine de joailler.

    « - Aux cheveux gras, vraiment ? Je te prêterais ma relique de Sainte Rita, patronne des causes désespérées ….. Elle ressemble à une rognure d’ongle collée sur un minuscule losange, et se trouve contenue dans un reliquaire qui porte le sceau de l'évêque au dos. Cependant ton rêve n'a rien d'impossible. Par contre obliger ton amant à se jeter depuis une falaise dans la mer, est peut être une clause handicapante, non ?
    « - Mes rêves se jettent dans la mer, mes amants, eux, se jettent sur mon corps !
    « - Serait ce une invite ? A tout hasard puisque cela semble t’intéresser, je me prénomme Jean-Loup avec un « P » à la fin du loup ! Comme l’animal !

    Je fis tinter les glaçons dans mon verre vide afin que mon interlocuteur pige la nécessité de commander une autre tournée s’il désirait que la conversation se poursuive.

    « - Je crains que mes dents de lait ne s’effraient de tes dents de loup.

    Ignorant à dessein l’appel surtaxé du bois-sans-soif, il pencha vers moi un visage d’un sérieux redoutable.

    « - Je pense que se serait à moi d'avoir peur.
    « - Je ne vois pas pourquoi. Que je ne te veuille pas de bien ne signifie pas que je te veuille du mal ; susurrais je aussi suave que les parfums de la roseraie de Bagatelle
    « - L'enfer est pavé de bonnes intentions, et les gentils ne le sont jamais véritablement .Mais tu ne peux pas le savoir, tu es encore tout poussinou ; cingla-t-il dans un sifflement d’une cravache.

    Pour le coup, il se foutait bougrement de ma gueule.

    « - Certes, J’aime bien l’idée d’être encore adulescent, souscris je, plus onctueux que jatte de crème.
    « - Profites-en pendant que c'est encore possible, bientôt il faudra que tu bascules dans le terrible monde des adultes-adultes, conseilla t –il, non sans amertume.
    « - Je doute que cela m'arrive de sitôt ! m’écriais-je dans un éclat de fanfare Brandebourgeoise.

    Agacé par tant de gamineries, le chonchon réprouva un mouvement d’humeur.

    « - Ce n'est pas quelque chose qui "va t'arriver", c'est quelque chose que tu dois décider de toi-même!
    « - Alors ça ne m’arrivera jamais, m’obstinais-je dans une moue de petit garçon contrarié.

    Mes gasconnades eurent l’heur de le faire marrer.

    « - Je crains que dans ton cas, ça ne soit pathologique, quand même...
    « - Nous verrons bien !
    « -TU verras bien, MOI, je ne sais pas ce que je verrai de tout ça...Apparemment tu ne semble pas très intéressé par le fait de me connaitre ; conclut-il, soudain plus glacé qu’un cœur de banquise.

    Je jouais les idiotes à la perfection puisqu’à l’évidence je n’endossais pas là un rôle de composition.

    « -C’est mon mail que tu cherches à me soutirer? Mon MSN ?

    Que je le prenne aussi ostensiblement pour un faisan le fit renauder vilain.

    « - Qu'est ce que tu veux que je fasse d’un mail? Tu ne veux pas me laisser aussi ta latitude et longitude ou tes coordonnées polaires, que je t'envoie un message en signaux de fumée ou bien en sémaphore??? Non mais sans rire... Moi je te donne le tirage du loto 06 22 xx xx xx. Fais en ce qu'il te plaira!

    « -Quelle hargne, quelle grogne, quelle rogne ! raillais je provocant en diable.

    « - Note bien les numéros gagnants quand même, au cas où...
    «- Inutile j’ai déjà joué.
    « - A quelle heure a lieu le tirage ?
    « - Dés que le Patron/barman aura terminé son service.
    « -C’est du joli ! Sais tu qu’on l’accuse de monnayer ses faveurs ; ajouta t-il mesquin après un silence lourd d’orages contenus.

    « - Hélas, passé un certain âge, plus personne ne baise gratis à Paris.
    « - Je ne sais pas, je ne baise pas, je suis vierge.
    « Je le suis également ! Ascendant pouffiasse !
    « -J’avais bien vu le coté pouffiasse.
    « -A force de me l’entendre dire, je vais finir par me convertir.
    « - A quoi, à la sodomie ?
    « - A tout! Quitte à passer pour une salope, je vais faire la totale: Fist, uro, scato. Allez, par ici le vice!

    L’expression de son visage n’était plus à l’affabilité mais au mépris.

    « - Il me semble que je me sois trompé sur ton compte. Les halls de gares, ce n’est franchement pas ma came.
    « - Pourquoi ? Tu t’y sens perdu ?
    « - Et toi, il faut te déballer sa queue pour que tu daignes montrer de l’intérêt ?
    Mais c’es qu’il commençait à me courir sur le haricot l’Oberfurher de mes valseuses.

    « -Jusque là tu étais simplement ennuyeux, voici que tu deviens vulgaire ! grinçais-je telle une vieille poulie mal huilée.

    Il se dressa sur ses ergots, la moustache soudain hirsute, me toisa méchamment de toute sa hauteur.

    « - Moué ! Et bien, vas donc retrouver des gens plus intéressants puisque tu es si malin. Finalement les garçons dans ton genre ne font envie que physiquement .Apparemment; la simplicité et le naturel sont des qualités que tu n'as pas encore acquises. A ton âge, car je suppose que tu n’as plus vingt ans, ni même trente, c’est déplorable, limite pathétique ! Bonne continuation tout de même ..."

    Sur ces belles paroles, il me planta là et quitta le bar.

    Andrea se gondola comme un bossu lorsque, outré, je lui rapportais l’anecdote.

    « - Tu baisses, ma pauvre fille, tu baisses ! Fut un temps tu m’aurais tiré au moins trois roteuses de cet Arnolphe, tandis que là, deux malheureux verres ….Et en plus il t’a laissé le ticket. Décidément, les caves se rebiffent au jour d’aujourd’hui.

    Et c’est ainsi, mes chers amis, que la nuit dernière « Mauvaise . Graine » se fit baiser deux fois de suite.