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théatre

  • " Chronique d'un dépucelage programmé." ( 5 )

    « La reine morte et les vivants. »


    zzzzzzzz-vania-by-fx-09.gifUn Vendredi de la fin d’Aout, alors que, déjà, la ville sentait le chagrin des écoles, les répétitions s’achevèrent dans une ambiance de pétaudière prophétique de la débâcle à venir.
    Pour la première fois, le metteur en scène, un homme encore jeune, très grand, trop mince, dont les mains de baigneur ressemblaient, lorsqu'il agitait ses bras osseux dans le contre-jour poussiéreux des poursuites, à deux minuscules méduses gélatineuses et phosphorescentes, ce garçon parfois à ce point recueilli qu’on sentait en lui monter comme une transe, d’ordinaire aussi froid et calme qu’ un presbytère, avait haussé le ton devant l’incapacité de Sasha et de sa rivale à jouer leurs répliques comme il entendait qu’elles le soient.

    « - Vous êtes sures de savoir lire, les filles ? On ne le dirait pas ! Qu’est ce qu’il écrit Montherlant ? Reprenez votre texte, s’il vous plait. Il écrit, écoutez bien :

    L'INFANTE : « Je ne suis pas encore parvenue à comprendre comment on peut aimer un homme. Ceux que j'ai approchés, je les ai vus, presque tous, grossiers, et tous, lâches. Lâcheté : c'est un mot qui m'évoque irrésistiblement les hommes. »

    INES : « N'avez-vous donc jamais aimé, Infante ? »

    L'INFANTE : « -Jamais, par la grâce de Dieu. »

    INES : « -Mais sans doute avez-vous été aimée ? »

    L'INFANTE : « -Si un homme s'était donné le ridicule de m'aimer, j'y aurais prêté si peu d'attention que je n'en aurais nul souvenir. »


    Que vous évoque cet échange? Et par pitié épargnez nous le couplet habituel : « la grande affaire d’Inès c’est l’amour, alors que l’infante n’est attirée que par le pouvoir ». Nous le savons déjà, c’est répété, rabâché à longueur de scènes. Vous jouez les mots, les filles, la surface des mots, alors que je veux entendre tous les « non-dits » que cachent ces mots. Je veux que vous donniez à voir les choses derrière les choses. Vous êtes des comédiennes, bordel, pas des perruches savantes. Alors, qu’est ce qu’il nous murmure ce fichu sous texte ? Vous ne voyez pas ? Qu’est ce qu’elle exprime, l’Infante ? Son rejet de l’amour ? FAUX ! Son rejet des hommes ! Ecoutez la : les hommes sont grossiers, lâches, ridicules. Elle ne stigmatise pas l’amour l'Infante, elle stigmatise les hommes, ces créatures barbares dont le contacte lui répugne. Si elle entend sauver Inès d’une mort annoncée, c’est autant pour échapper à la couche de Pedro que parce que consciemment ou inconsciemment elle est attirée par la jeune femme. Attirée amoureusement. Il faut me le jouer ce sous-texte lesbien, sinon comment voulez vous que le public le comprenne
    ?

    Il avait débité sa tirade sans reprendre son souffle, si bien qu’elle s’acheva dans des sifflements tragiques d’asthmatique, auxquels fit écho la voix gouailleuse de Sasha qui, devant la mine subitement crayeuse de sa partenaire, ne put s’empêcher de la bousculer du coude tout en lançant :

    « - C’est bon Totoche, fais pas cette tête de martyre, personne ne te demande de me brouter le cresson !

    Nous en riions encore lorsque nous arrivâmes à la soirée que donnait en l’honneur de la troupe, une ancienne gloire du boulevard, reconvertie dans la production d’œuvres théâtrales classiques depuis qu’elle avait épousé les millions et les bonnes manières d’un vigneron de Province plus titré qu’un grand d’Espagne.

    Etourdissante d’élégance dans une simple robe de crêpe noir au décolleté de laquelle sanglotaient les limpidités vermeilles d'un cœur en rubis certainement plus charitable que celui battant sous les baudruches d’une poitrine longtemps osseuse, Sophie de B., SoSo pour les intimes, autrement dit la poignée de happy fews en vogue cette saison, et « Belphégor » pour sa garde rapprochée de tapettes dont les silhouettes sèches de flamants aux pastels dansaient dans son sillage, cous et pattes étirés, un étrange ballet cancanant à mi chemin entre la parade nuptiale et la démonstration d’intentions belliqueuses; Sophie de B. que l’on disait cruelle parce qu’elle réussissait en affaire et dépravée parce qu’elle aimait « les jeunes gens fauchés et les vieux machins à portefeuilles », accueillait les arrivants avec des airs ahuris d'effraie, qu’elle accompagnait d’un invariable et pétaradant « - Comment, mais vous êtes là ? Mais quelle adorable surprise. » Laissant entendre qu’elle n’avait pas pris elle-même le soin de trier ses invités sur le volet et donnant aux malheureux nouveaux venus le sentiment inconfortable de s’être trompés de soirée.

    Il en fallait cependant d’avantage pour déconcerter une Sasha décidément très en verve.

    « - Tu devrais éteindre quelques lustres, chérie, répliqua t elle avec ce sourire suave et qui se dit sans « arrières pensées » dont le mondaines aguerries usent comme d’une arme. Toutes ce lumières finiront par t’attirer des bataillons de moustiques en plus des parasites ordinaires. Quoi qu’il en soit tu es superbe ! Et toujours le cœur à gauche à ce que je vois. Ne me dis pas que tu considères encore la révolte comme une forme d’optimisme ! Du reste, peut-on parler de révolte de manière autrement que provisoire depuis le règne de sa majesté Mitterrand ? Bref, évitons la politique et nous resterons amies. Laisse-moi plutôt te présenter mon neveu, V, le fils de François Xavier.

    « - François Xavier !!!! Brama la comtesse de sa voix bizarrement rocailleuse, presque masculine. Je l’ai connu tout mioche, celui là. Il était encore en culottes courtes qu’il me tirait déjà le portrait. Uniquement le portrait, jeune homme, rassurez vous. Il m'adorait votre papa, vous savez! Il trouvait à mon visage une ossature fascinante. "- Tu prends la lumière comme Dietrich! ", disait il. Quel flatteur, quel dragueur, quelle adorable canaille! Laissez moi donc vous regarder , mon joli! Vous ressemblez d'avantage à votre maman, n'est ce pas? Dites moi, comment se porte t’elle ? Toujours chez les Aztèques ?

    Sans attendre une réponse que je tardais à lui donner tant j’étais vexé qu’elle m’ait trouvé des airs de ma mère, SoSo prit Sasha sous le bras d’un geste qui se voulait affectueux alors qu’il était prédateur et l’entraina en direction du premier salon ou trônait le buffet.

    « - Sais tu que je t’admire, Alexandra, ma chérie ? Jouer « La reine morte », il faut être folle. Ou désespérée… C’est d’un chiant, mais d’un chiant !!! Et ces tunnels de texte dont vous ne pouvez déplacer une virgule, quelle torture ! Tu devrais faire du Boulevard, c'est tellement plus marrant! On improvise, on part en délires, on interpelle le public ! Dieu que les planches me manquent ! Remarques, il n’est pas dit que je ne remonte pas sur scène la saison prochaine. « Féfée de Broadway », plus personne ne l’a joué depuis Maillan, ça pourrait être amusant. 30 représentations exceptionnelles histoire de ne pas lasser. Le retour de « Mademoiselle Formule 1 », comme m’appelaient Barillet et Gredy ! Evidement, Hubert va raller, mais bon, je ne m’en inquiète pas trop ! Un grand coup de porte jarretelles et il redevient tout mignon, le barbon. Et toi, chérie, ça ne t’embête pas trop d'avoir cette pédale honteuse de Staniland pour amoureux ? S'il te plait ne m'en dis pas de bien, je déteste ce garçon! C’est épidermique ! Et il le sait. D'ailleurs il pointe aux abonnés absents ce soir. Sans doute est il trop occupé à corrompre des enfants de chœur. Quand je pense que je le paie pour jouer dans Ma pièce, je frôle la crise de Psoriasis ! Le metteur y tenait absolument, va savoir pourquoi! Il doit donner dans la jaquette celui là aussi! Très "Lavander Maffia", le milieu en ce moment, tu ne trouves pas? Bref, pour en revenir à Staniland, figure toi que récemment, cet empaffé mondain m’a grillée à Drouot. Un paysage ravissant de l’atelier Breughel. 470.000 Francs. Je n’ai pas voulu enchérir au-delà de 45. Petit enculé pompeux, va !


    Sasha rejeta en arrière ses longs cheveux ondulés qu’elle avait teints en brun chocolat pour incarner Inès de Castro. Cette couleur chaude s’harmonisait joliment avec la soie rouge corail tirant vers l’oranger de sa robe et les dégradés à peine moins soutenus de l’étole de mousseline dont elle couvrait ses épaules nues.

    « - Mais qu’est ce que tu me racontes là ? dit elle d’une voix aux inflexions circonspectes. 470 .000 balles ? Je ne vois pas très bien ou il les aurait pêchées, il n’a pas un flèche !

    Sophie de B. se rapprocha de son amie avant d’adopter un ton de confidences, ce qui dans son cas consistait à ne pas hurler mais à parler normalement et encore suffisamment fort pour qu’alléché par les révélations qu’elle s’apprêtait à faire, je n’en perde pas un souffle.

    « - Ma pauvre petite, ne me dis pas que tu t’es laissée abuser par son personnage d’artiste famélique et maudit ! Se désola t elle tout en froissant entre ses longs doigts nerveux le vaste carré de Baptiste Parfumé à la violette dont elle rafraichissait régulièrement son cou hautain de périscope. Fauché Staniland ? Mais il est plus riche que toi et moi .Enfin Alexandra, redescend sur terre ! Staniland W., les aciéries W., la dynastie des W .Ils ont gagné des milliards pendant les deux guerres. L’un d’eux a même épousé une Brantes, ce qui le fait cousiner avec Giscard. Une famille des plus honorable jusqu’à ce que ce pervers de Staniland n’y porte le scandale. Une histoire de pédophilie absolument sordide. La victime avait onze ou douze ans! Et je ne te parle pas de simples attouchements .... Ca a fait un de ces grabuges en Lorraine, tu n’imagines pas. Les W. grâce à leur relations sont tout de même parvenus à étouffer l’affaire, mais ont priés Staniland d'aller faire ses cochonneries ailleurs. Seulement voilà, le grand père complètement gaga, lui a laissé à sa mort, non seulement un fort joli pécule mais également un bon paquet d’actions de la compagnie. Le Staniland, pas idiot, a finement négocié, sa non ingérence dans les affaires familiales pour une somme, dit-on, indécente. De plus, régulièrement les entreprises W. lui versent des royalties, c’est le cas de le dire, royales afin qu’il se tienne à l’écart de leurs magouilles et ne vienne pas les éclabousser d’un scandale supplémentaire. Tu sais comment sont ces bourgeois de Province, aussi nantis soient ils, âpres au gain, mais frileux en matière de mœurs.

    Moins étourdi cependant par l’alcool que par les révélations de la Comtesse, j’avalais d’un trait et sans me donner la peine de respirer ce qu’il restait du grand verre de Vodka qu’un barman conciliant avait bien voulu me servir. La blanche caresse du breuvage le long de ma moelle épinière m’apporta un apaisement immédiat. Toutefois, il me fallut encore quelques minutes avant que je ne réalise que, doté d’à peu près autant de morale qu’un chiot à la tétine, j’accordais en fait peu d’importance aux mensonges de Stan, comme à la découverte de ses turpitudes. D’autre part, je ne pouvais décemment à présent que je me trouvais averti de ses penchants, en prendre le prétexte pour l’accuser de m’avoir entrainé dans de mauvais chemins alors qu’il s’était contenté d’y suivre mon pas déluré. J’éprouvais même un bête soulagement à savoir qu’il n’y avait pas dans la vie de Stan cette richissime célébrité que je m’étais empressé de fabriquer de toutes pièces et avec laquelle il m’aurait fallu à un moment ou à un autre le partager. Ajoutez à cela que le découvrir fortuné, loin de m’affliger, me laissait augurer des jours de bombance puisque j’étais parfaitement décidé à profiter du pactole pour assouvir quelques caprices ruineux, et vous obtiendrez de la graine de « Mauvaise . Graine » radieuse et froidement déterminée à jouer de ses charmes encore verts et de ses candeurs plus ou moins affectées pour ferrer vigoureusement un poisson dont elle entendait limoner jusqu’à l’arrête les écailles d’or et d’argent.

  • " Chronique d'un dépucelage programmé." ( 3 )

     

    zzzzzzzzz.jpg« Le coup du Rocking-chair. »

    Assourdie, étouffée, moqueuse, la rumeur de notre liaison montait lentement des tréfonds du « Tunnel » jusqu’aux feux de la rampe.
    Bien qu’elle dissimulât à la perfection son âme étroite de grande bringue mal baisée, voire pas baisée du tout, derrière des manières délicates, des airs de poupée, un sourire amène, figé dans le sucre, le miel, le sirop de groseilles et qu’elle affichait en permanence comme si réservant à la scène l’éloquence de sentiment plus nuancés, elle eut été incapable d’exprimer, à la ville, autre chose qu’une courtoisie de circonstance, la comédienne incarnant l’infante ne redoutait personne lorsqu’il était question de foutre le bordel.

    Aussi, un soir qu’elle trainait dans la loge de Stan sous prétexte de répéter quelques dialogues qu’elle maitrisait mal, lui demanda-t-elle, à brule pourpoint et sans se départir de ses grâces pâmées, s’il couchait avec moi, auquel cas, ajouta-t-elle dans un brusque élan de vertu, elle se verrait contrainte d’en informer Sasha, puisqu’en dépit de ma haute taille, de mes larges épaules, de mes jambes de champion cycliste, de mon esprit bien trop acide pour mon âge et de mes yeux « déjà vieux », je n’en demeurais pas moins un enfant et qu’il lui semblait , somme toute, obscène qu’un trentenaire aguerri profitât des candeurs, certes équivoque, d’un petit garçon pour lui « refiler des arthroses anales ».

    Avec une sobriété de jeu digne d’un « Molière », Stan haussa négligemment les épaules, acheva sans hâte sa cigarette, avant de répliquer qu’il ne voyait pas du tout dans quel marécage elle avait put pêcher pareille sornette, qu’il éprouvait, en effet, beaucoup de sympathie pour moi, que mon inculture, mon insolence, mes airs de matamore l’amusaient énormément, mais qu'il n'entendait nullement attenter à mon honneur, à supposer que je ne l’ai déjà égaré au Diable vauvert, puisqu’il n’avait pas le gout des éphèbes! Et de façon à le lui prouver sans contestation possible, il renversa la donzelle dans un rocking chair, dont les cadences chaloupées lui furent d’une aide providentielle pour amener la vipère au paradis.

    Je crois, de toute ma vie, n’avoir jamais ri d’aussi bon cœur que lorsque, le lendemain, encore sous le choc, Stan me rapporta l’incident.

    « - C’est tout l’effet que ça te fait ? Se scandalisa le martyre.

    « - Attends, Stan, tu as accroché la fourrure de l’autre salope à ton porte manteau, on ne va appeler Fox Mulder pour autant. Reste que nous voilà grillés, maintenant ! Remarque, moi je m’en fiche. Dés que mon père rentre d’Afrique du Sud, je réunis toute la famille et je déballe le paquet cadeau.

    « - Tu fais ce que tu veux du moment que tu ne m’impliques pas. J’ai une carrière, je te signale !


    Je me mordis les lèvres pour ne pas lui faire remarquer qu’un rôle récurant dans une sitcom tournée des années plus tôt sous le soleil de Babelwed les pins, une publicité à la gloire d’un lave- linge, une poignée de panouilles chez Navarro ou Julie Lescaut et une future apparition au théâtre, ne justifiaient pas, à mon sens, l’emploi d’un terme aussi solennel que « carrière ».

    « - Donc on arrête tout ? Demandais je un peu inquiet que ce grand lâche ne réponde par l’affirmative.

    « - On arrête au théâtre! En dehors on n’est pas obligé. Ton père est absent, je crois…..

    « - Oui mais non, c’est pas suffisamment le carnaval dans mon slip pour que j’aille tremper le petit gavroche sous le toit de papa, et avec un mec en plus, sans lui en avoir parlé d’abord ! T’as pas de maison, toi, peut être ? Tu vis dans un carton sous le pont Alexandre III ?

    Embarrassé, Stan se balançait d’un pied sur l’autre avec des grâces balourdes de Grizzli.

    « - Ouais, bien sur que j’ai un appart, finit il par dire au bout d’un long silence gêné. En fait c’est compliqué ! Je loge chez un ami et…..

    Je ne lui laissais pas l'occasion de terminer sa phrase.

    « - T’as un mec, c’est ça ? T’inquiète Totoche, même si ça pouvait nous ramener Joe Dassin, y a peu de chances que je cabane dans les quadripôles!

    « - Mais qu’est ce que tu vas chercher toujours midi à quatorze heures ? S’impatienta Stan tout en m’attirant contre lui. Si j’avais un mec je te l’aurais dit, espèce de bourricot sans cœur! Je te parle d’un ami, d’un ami très cher.

    Je boudais, sans toutefois pouvoir m’empêcher de lui caresser les couilles à travers l’étoffe de ses jeans.

    « - Bien sur, et ma mère est vierge également !

    Il ôta ma main de son entrejambe de crainte qu'elle ne communique le feu à une matière des plus inflammable, me repoussa un peu durement. Un grand pli de contrariété lui barrait le front.

    « - Arrête, merde, V. Tu es pire qu’un môme!

    Je riais doucement, adossé à la porte des toilettes ou nous avions trouvé refuge.

    « - Je suis un môme, Staniland !

    Il revint vers moi, enserra mon visage de ses mains comme s’il voulait le réduire en poussière, puis m’embrassa avec une telle sauvagerie que nos dents s’entrechoquèrent tandis que notre baiser se teintait d’un gout de sang.

    « - Tu as gagné sale môme, grommela t il contre ma bouche, on se retrouve chez moi après la repet. Tu es content ? Nos brèves rencontres n’auront plus lieu. En revanche trouve une excuse pour passer la nuit dehors. Je n’ai pas l’intention de te laisser filer avant l’aube, moi. Il va falloir que tu me le paies très cher, le coup du Rocking-chair !

     

  • " Chronique d'un dépucelage programmé." ( 2 )

     

    " Coulisses."

     

    zzzzzzzz-v-by-fxm94.jpgElle serpentait sous la scène, la rampe, le parterre, le foyer, allait se perdre dans des profondeurs ou le théâtre bougonnait ses humeurs capricieuses tel un très vieux cabot mâchant entre ses dents des paroles indistinctes, remontait brutalement vers les étages pour repiquer aussitôt suivant une pente vertigineuse en direction du hall sur lequel elle débouchait.


    Cette galerie alambiquée , entrecoupée de courts paliers, de volées de marches en colimaçons, de passages en arceaux ou il fallait se courber pour ne pas heurter de la tête les rouages d’une machinerie dont on ne savait trop à quoi elle servait, et que l’on appelait « Le Tunnel » comme s’il s'agissait d’une attraction de fête foraine ou d’un énigmatique boyau bruissant d’ombres et de périls qui aurait mené les plus téméraires jusqu’à une hypothétique salle aux merveilles, bien qu’elle fut encore éclairée par de faibles ampoules et soigneusement fléchée , n’était plus empruntée depuis qu’à la libération de Paris les F.F.I s’y étaient réfugiés pour échapper aux tirs Allemands.

    Je trouvais ce labyrinthe follement romanesque. Il me semblait, lorsque Stan m’y entrainait dans une course haletante contre le temps et qui se fichait bien des risques encourus, il me semblait que je galopais de toute ma vigueur dans la magie d’un film de Truffaut et qu’à tout moment, à l’angle de n’importe quel virage, Catherine Deneuve pouvait apparaître, retenant d’une main les velours incarnat de sa robe du soir lacérée tandis que de l’autre elle élevait vers un visage tendu de conspiratrice le feu brasillant d’une lampe tempête.

    Au plus profond du gouffre, presque ‘à demi dissimulée derrière les plaques de carton pate d’un décor Florentin représentant la silhouette en lambeaux de Santa Maria dei Fiore, une vielle banquette, rouge, pelucheuse, poussiéreuse, achevait de moisir . C’est sur ce siège douteux ou j’imaginais que tant de culs illustres avaient étalés leurs rondeurs satisfaites les soirs de Générale, que nous faisions l’amour, aiguillonnés par la hâte et la crainte, retenant nos cris, nos gémissements, nos fous rires, nous cassant la figure plus souvent qu’a notre tour , nous relevant aussitôt , salis, esquintés mais toujours disposés à continuer la bataille.

    On a peur de rien lorsqu’on a 15 ans et surtout pas d’un amour qui ne daignait pas montrer sa face suave et sotte de chérubin, puisqu’il n’était question entre Stan et moi que de sexe, enjoué ou sévère, brusque ou caressant, dépravé ou benoit, mais débarrassé des scories sentimentales avec lesquelles ni l'un, ni l'autre n'avions l'intention de nous compliquer l'existence.
    De sa vie en dehors du théâtre, je ne savais rien et ne cherchais pas à savoir.
    Seuls m’importaient les plaisirs que nous partagions et dont, une fois débarrassé de ma virginité comme on se débarrassé d’une corvée fastidieuse, je devenais chaque jour un peu plus dépendant, Stan comblant au centuple tous les espoirs que j’avais mis en lui. De là à ce que je me prenne pour Sarah gaillardement bousculée par Mounet-Sully dans des extases rococo-"1900", il n'y avait pas loin!

    Toutefois, s'il me restait encore quelques doutes concernant mes dispositions à préférer les garçons, l’obscurité chancie des coulisses d’un théâtre, les dispersa comme les rayons du soleil dispersent en gouttes de lumière le givre aux bouches des fontaines.

    J’étais pédé, définitivement pédé, ni fâché ni honteux de cet état, même si je n’exultais pas d’imbécile fierté, pédé à tel point que je raisonnais déjà en parfaite petite salope, rêvant parfois, tandis que Stan me prodiguais une de ces gâteries dont il avait sinon le secret du moins le talent de bien faire, à tous ces merveilleux garçons qui dés la rentrée repeupleraient Paris de leurs grâces équivoques et auxquels, à peine effarouché pour la comédie, cependant un rien trivial par gout de la fanfaronnade, je révélerais mes nouvelles et précieuses compétences.

    Ma candeur tout juste écornée, ignorait encore que rien, pas même la plus potinière des reines pédoques, et bien qu’il ne soit pas interdit de cumuler, n’est plus cancanier, clabaudeur, papotier, qu’une troupe de théâtre et que je me précipitais au devant d’une de ces bouffonnerie ridicule que la vie semblait prendre un vilain plaisir à me destiner , à moins que je n’eusse inconsciemment la malice de les provoquer moi-même.