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" Prince des indécences."

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Sans même se donner la peine de sonner, il est arrivé alors que je ne l’attendais plus.


Mais à vrai dire, l'avais je réellement attendu ?


Il a utilisé pour entrer une clé que je lui avais confiée du temps que nous grimions notre histoire de cul en histoire d’amour ; feignant pudiquement de ne pas remarquer que les paillettes se décollaient, que les fards viraient ou s’écaillaient comme sur un visage flétri qu'on aurait peint à la hâte aux couleurs de la jeunesse.


Il ne me l’a pas rendue cette clé. Il ne me la rendra pas.


Du reste je ne la lui demande même pas. Je ferais changer les serrures un jour ou l’autre.
Disons plutôt l’autre.


Je l'ai reconnu au bruit violent qu'a fait la porte lorsqu'il en a rabattu l'huis.
Il n'y avait que lui pour claquer les portes aussi fort, à croire qu'il voulait par là s'interdire toute velléité de fuite.


Tranquillement, j'ai refermé mon livre non sans en avoir corné une page qui n'en pouvait plus de l'être. Toujours la même page, toujours le même paragraphe, les mêmes mots que je relisais inlassablement et dont je vous parlerais peut être un jour.


Il a pénètre dans ma chambre comme une bourrasque d’automne. Sur les pans de sa grosse écharpe rouge, dans les plis de son manteau noir trainait un parfum urbain de feuilles mortes et de goudron, de précipitation, d’urgence.


Le parfum du dehors.
Le parfum de Paris à la tombée de la nuit.


Lui sentait le chèvrefeuille, les agrumes et le thé vert, les après midi paresseux.
Il a vingt cinq ans, presque vingt six; des orages souvent sur ses histoires d’amour et l’éternité devant lui.
Il est vrai qu’à son âge l’éternité est l'affaire d'une poignée de secondes.


Il s'est laissé tomber plus qu’il ne s'est assit dans le fauteuil au courbes douces près de mon lit, mais cette chute n’était pas brutale.


Fluide plutôt, flexible.
Comme lorsqu'on tombe dans un rêve, Alice dans un puit.


Je lui ai trouvé la grâce délivrée de toute pesanteur d'un nageur en eaux profondes.
Ses gestes sont longs, son visage est lisse.
Il a frissonné, s'est plaint d'avoir les pieds froids. Je lui ai fait remarquer que les petits garçons ont toujours les pieds froids.
Il a levé une épaule pour me signifier que je racontais des bêtises.


Je sais bien qu’il est frileux, qu’il aime le soleil. Le soleil sur cette plage de Sardaigne ou nous nous sommes connus, le sable rose et noir en damier et qui ne blesse pas tant son grain est poli, la mer tiède au couchant, infusée du sang vif des coraux, les maillots de bains turquoises ou Garances, trop étroit de chez Roberto Cavalli.


La lumière crue lui sied; la quasi nudité.


Il n’a rien à cacher.


Il est beau comme un Italien, souriant et boudeur, gouailleur et taciturne, ombrageux et paisible, sensuel et aussi froid qu’un David de marbre. Le Caravage l’aurait peint sur fond d’obscurité. Claire tête d’archange, corps raviné d’ombres mauvaises, voyou Romain et prince Florentin ; un peu Cesare Borgia, un peu Giuliano de Médicis.


Princier dans tous les cas.


Il porte l’un des plus grands noms de France et fait mine de s’en moquer. Il définit ces prestigieux ancêtres comme un ramassis de putains royales et d’assassins en dentelles. Lorsqu’il évoque le monde dans lequel il a grandit, celui des chancelleries, des diners en habits, des châteaux en Touraine il en rit franchement.


« -Qu’est ce que le « Monde » d’après toi ? Dix parents plus ou moins proches à Paris, dix parents éloignés à Londres, autant à Venise et Budapest ; tous déguisés en pingouins qui s’embrassent et se font des grâces dans la petit monde de leur monde et se détestent cordialement dés qu’ils en franchissent les frontières. »


Je ne lui donnerais ni tort ni raison.
Ce monde là, je ne le connais pas.
Chez moi c’était la bohême et l’art du grand n’importe quoi.


Il a soupiré longuement, pas bien heureux mais pas bien désespéré non plus. Il s’est arrache de son fauteuil pour rejoindre le lit ou me cloue ma cheville malade.

En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il était nu ce qui tenait de l’exploit olympique tant ce jeune athlète s'était couvert d’épaisses cotonnades et de souples flanelles pour se préserver d’un froid à givrer les marrons dans leur bogues.


Lentement et sans me toucher il s’est allongé près de moi, son corps perpendiculaire au mien et a allumé une cigarette.
Lui, c’est avant l’amour qu’il fume.
Les yeux perdus dans les volutes bleues de son tabac blond il a parlé un peu de lui.

De Prague dont il arrive, de Casa ou il s’en va.
La cendre est tombée sur le drap sans qu’il s’en préoccupe.
J’ai grogné, grondé pour la forme ; il a rit du bout des dents en me lançant un petit regard malicieux.


« Je ne vais pas t’embêter longtemps, va ! »


J’ai eut bêtement l’impression qu’il ne s’adressait pas à moi, qu’il n’y avait plus entre nous ce « pas-si-vieux » fond de souvenirs que l’on appelle bien prosaïquement de la complicité.


« -Tu repars quand ? » j’ai demandé.


Il s’est retourné sur le flanc, le bras tendu vers le chevet pour écraser sa cigarette dans un petit cendrier de porcelaine.


« Quelle importance puisque je pars. »


Puis sa main, sa petite main vigoureuse est venue effleurer mon torse. De l’index il a suivit le tracé de mon tatouage au dessus du sein gauche redessinant sur ma peau les longues cursives des mots « Mauvaise. Graine ».


« - Et puis toi aussi tu partiras lorsque tu seras guéri. L’Afrique, la région des grands lacs .Tu vas te faire boulotter par les pygmées cannibales. » A-t-il ajouté avant de poser sa bouche là ou la décence m’interdit de le dire.


Il s’appelle Chris et j'aurais put l'aimer s'il ne se défiait tant de cet amour.

En même temps, si j'étais l'homme qu'il aime, je me méfierai!

 

 

 

 

 

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