Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Flashbacks - Page 5

  • " Une Rumeur d'indécence."

    zzzzzzzzz-v-03-09.jpg

    Il faisait partie du petit groupe, du petit clan, du petit cercle dont aimait s’entourer Walter cette saison là, un aréopage de jeunes hommes, brillants de cuir et d’acier, moins beaux du reste que singuliers, ou du moins dont les beautés, en bouquet de foulards noués à la diable, crachaient du feu contre le noir doux des mohairs, le gris lentement irrégulier des flanelles, le blanc fluide des mousselines, sonnaient à contretemps, à contre-courant et presqu’à contrecœur d’un idéal masculin, dégradé en sépia et lilas sur le papier glacier , un peu raide, un peu lisse, un peu flou des magazines de mode.

    C’était là tout le géni d’un Walter capable de rendre de l’éclat aux imparfaits, du piquant aux laids, de la finesse aux sots, que de mélanger les styles , les genres , les humeurs, les horizons sans que l’ensemble ne paraisse ni anachronique ni disgracieux, que de savoir s’inventer des cours chiffons et coutures, argotières et distinguées, déraisonnables et raisonneuses, des cours qui d’ailleurs le courtisaient moins qu’elles ne le brocardaient, le caressaient moins qu’elles ne l’épinglaient, le ménageaient moins qu’elles ne le bousculaient et dont tout Paris raffolait tant elles mettaient d’insolence à dynamiter les conventions d’un microcosme fatigué de prendre la pose , d’emprunter aux grands livres de grandes idées, de grandes attitudes aux grands monuments et de faner sur pied, du coté de Guermantes , en polos Ralph Lauren et manteaux de pluie Burberry’s, le teint aussi vieil ivoire que le lait clair coulant aux cierges des sacristies.


    D’où qu’ils viennent et ou qu’ils aillent, ces garçons, avocats, médecins, financiers, politiciens, journalistes, cinéastes en devenir, bruissaient d’idées, pétillaient d’inventions, fourmillaient de projets, regorgeaient d’ambitions et bouffaient la vie de leurs dents blanches et saines à croquer dans toutes les pommes avec des appétits cyclopéens d’ogres cannibales. Leur jeunesse rutilait autant que leur esprit, leurs rires immenses déboulaient dans la quiétude des diners comme des avalanches sur de paisibles vallées, les débats d’idées dans lesquels ils s’affrontaient, sabre au clair, à coup de passes inspirées , de bottes imparables, de parades, de tierces , de primes élégantes et féroces déchiraient les dolences roses pompons des salons , dissipaient les langueurs bleues gitanes des pubs et des cafés.


    Ils allaient partout, aussi à l’aise dans les palaces que dans les cambuses, ils buvaient beaucoup et à toutes les fontaines, se droguaient un peu, davantage afin de tester leurs capacités à résister aux addictions que pour gouter à des tumultes, des tournoiements dont ils savaient très bien les dangers comme, mortelle et légère, la superfluité, baisaient avec gourmandise qui leur plaisait et se gardaient d’aimer comme on se protège d’une maladie tropicale, foudroyante et fatale.

    Est il besoin de préciser qu’à vingt ans tout lisses, tout ronds, l’esprit vide et le cœur pendulant d’adolescents hébétés dont je me lassais aux premiers reproches, en trentenaires vite agacés par mes Gasconnades et autres pitreries, au visage le chagrin de ceux qui, à force d’avoir tout, ne désirent plus rien, portant haut une physionomie qui ne devait ses airs de tête qu’aux millions de milliers de milliasses de caillasses péniblement sués par papa , je ne faisais pas partie du cénacle ?

    Walter s’il m’adorait me trouvait trop immature, trop fluet, trop fragile pour affronter ses hommes liges aussi se contentait il lorsque dans le tapage des discothèques je croisais son sillage vétiver, d’embrasser paternellement mon front, de glisser, si discrètement que je ne m’en rendais pas toujours compte, une liasse de talbins dans la poche de ma chemise avant de me renvoyer à mes gamineries d’une tape affectueuse sur mes fesses à fossettes.

    J’enrageais tant j’aurais aimé appartenir au groupe, me transmuer en l’un de ces types dont le moindre geste respirait l’aisance, l’assurance, la confiance en soi, le moindre sourire odorait l’haleine tiède des lauriers roses, le moindre mot brillait de l’éclat poli, debruté , facetté des pierres taillées.

    Mes intentions, aussi pieuses soient elles, ne m’empêchaient pas, « Mauvaise . Graine » en herbe, de parfumer celles que je prêtais à Walter de manigance vénéneuses, puisque je le soupçonnais, à l’impulsion d’un compagnon dont il était tragiquement épris, de faire ménage avec tout son monde.


    L’un et l’autre m’assuraient, parfois riant comme à une mauvaise blague, parfois m’opposant les figures navrées de ceux à qui l’on sert des fariboles, de l’exclusivité de leur passion, cependant puisque le mot « exclusif » ne faisait pas partie de mon dictionnaire amoureux et comme je ne voyais pas d’autre raison légitime à ma mise à l’écart je n’en croyais rien.


    Ainsi continuais-je d’essaimer, sourde et confuse, ma rumeur partouzarde, me targuant d’un lien de parenté avec Walter qui n’existait que dans mon imagination, alors prolixe, pour étayer le bien fondé de mes dires.

    Je n’avais, du reste, pas la moindre idée des ravages que de telles allégations pouvaient causer puisque les racontars aussi nombreux que fantaisistes courant sur mon compte me donnaient à rire plus qu’à pleurer. Pour tout dire, il arrivait, lorsque la fantaisie m’en prenait ou bien lorsqu’il me semblait que mon nom ne circulait pas assez, que je devienne moi-même la source des saloperies que l’on colportait à mon endroit, allant ensuite, histoire de donner du vent à mes moulins, jusqu’à m’indigner, ma vertu pudiquement drapée dans les plis outragés d’une robe de vestale, des tocsins dont j’avais déclenché les volées.

    Le retour de bâton ne se fit guère attendre.

    Nous célébrions à Autheuil et en grand comité l’anniversaire de belle-maman.


    Il y avait tant d’invités qu’il me semblait ne connaître personne.


    Une chaleur anormale, opaque et sablonneuse pesait sur les jardins qu’elle poissait. Même sous les tentes de frais draps bleu ou se tenaient buffets et bars on suait des chandelles.

    En dépit ou à cause des litres de champagne que j’éclusais depuis le matin, je me sentais absent et distrait, paresseux et rêveur.
    Je m’isolais au pied d’une des terrasses, assis sur la margelle d’une fontaine dont le débit ragaillardi par les pluies des jours enfuis, stridulait un murmure enjoué.


    J’étais occupé à me rouler un joint lorsque je le vis s’avancer vers moi d’un pas martial.
    Le plus beau des amis de Walter, ou du moins celui de la bande qui me plaisais tellement que je rêvais souvent qu’il me prenait dans ses bras.

    Etudiant en journalisme m’avait on dit, aspirant à barouder en zones de guerre, sur des terres périlleuses, inconnues et hasardeuses, aussi aventureux qu’aventurier selon la même source, un poil boucanier même, cogneur de mauvaises figures et séducteur impénitents de jeunes camélias blancs aux grâces froides et polies.

    Plus Corse de surcroit que l’échauguette de Sartène, les granits gris zébrés de serpentine de la Scala di Santa Regina ou que cet océan de châtaigner qui des hauteurs de Morosaglia roule ses vagues vertes et fraiches jusqu’aux sources pétillantes d’Orezza.

    En somme un garçon pas rassurant du tout et qui donc ne pouvait que me plaire.

    « -C’est toi V ? demanda t il d’une voix aussi brulante que les glaces du Cinto.

    « - Comme si tu ne le savais pas ! Répliquais-je sur un ton non moins polaire.

    Son pied vint frapper méchamment le mien.

    « -C’est toi la salope qui raconte toutes ces histoires de partouzes au sujet de Walter et de mes amis ?

    Je tirais sur mon joint, souri à la lumière ailée d’un rayon de soleil qui sur mon nez, mes joues, mon front bourdonnait comme une abeille.

    « - On ne peut rien te cacher.

    Il m’arracha de mon muret comme si je n’avais rien pesé.


    « - Ecoute moi bien , petite merde , si j’entends encore un mot , tu as compris , un mot , pas deux , pas trois , un seul mot de cette histoire , je te jure sur la croix et quoi qu’en dise Walter ,d’esquinter ta belle petite gueule de minet rupin au point que même ta mère , si tu en as une ne te reconnaitras plus ! Tu as compris salope ?

    Partagé entre une envie de rire et une excitation on ne peut plus déplacée, je répondis à tout hasard que oui, Monsieur, j’avais compris.


    Il me laissa choir comme un sac de charbon dans la cave d’un bougnat, me lança un regard aussi méprisant qu’un crachat et reparti au diable d'ou il venait.

    Affalé dans l’herbe rase, pas même endolori, je riais comme un âne et bandais comme un turc.


    Cette histoire, je le pressentais, finirais soit dans un lit, soit dans un bain de sang.

    Cependant, et pour l’heure, Julien m’avait dans le nez bien plus que dans le cœur.

  • " Dernier été à Tanger"

    zzzzzzzz-art.jpgChris encore, Chris toujours !
    Si vous en avez assez de mes Chris par ci, Chris par là, vous pouvez bien me le dire, les commentaires servent à ça. Mais si je ne vous parle pas de Chris je vous parlerais d’autres garçons fondus dans le même creuset, alors autant vous entretenir de celui du moment.


    « Le garçon du moment » : Dieu que cette expression semble cynique.
    « Le garçon du moment » comme le dernier gadget de « Pif » ou le parfum du mois.


    La tendance actuelle, celle dont on sait bien qu’elle passera plus vite que le café, qu’elle sera remplacée par une autre, pas forcément plus agréable, pas forcément différente même, mais subtilement autre, suffisamment inhabituelle en tous cas pour qu’on lui trouve la fraicheur verte et moussue des sources vierges.
    Mes amants avaient tous les yeux obliques des poisson-chat, parfois le même prénom, du gout pour une certaine barbarie à face d’archange, des rébellions de poulains débâtés ; seul changeait le regard que chacun d’eux portait sur moi et qui me faisait me sentir dissonant, discordant, mais neuf et comme rajeuni.

    Du reste, je ne songe jamais lorsque je rencontre un homme : « Celui là sera mon dernier amour, mon dernier rêve sera pour lui ».

    Je trouve un peu sinistre de s’entendre dire « Je veux vieillir avec toi » même si l’idée de vieillir ensemble, à deux, cote à cote me parait belle en soi. A la limite je préfère la brutale franchise d’un « Nous ne vieillirons pas ensemble ! ».

    J’ai besoin de garder l’impression que ce qui existe aujourd’hui n’existera peut être plus demain. Cela me permet de rester ouvert, d’échapper à la pause, aux grandes attitudes mélodramatiques.

    En revanche il m’est arrivé d’aimer à nouveau un homme que j’avais aimé par le passé. J’ai besoin de penser qu’il reste toujours quelque chose d’un amour, en latence, en attente : une empreinte, une blessure, une braise.


    J’ai du désir pour Chris, parce qu'il est jeune, beau et intelligent. Cependant, très vite, je me suis rendu compte que cela ne me suffisait pas.

    En fait Chris ressemble au garçon opaque et lumineux que j’étais à son âge. Dire que je me retrouve à travers lui me semble toutefois un peu exagéré.

    C’Est d’avantage un parfum que je retrouve au travers de ses immenses ambitions, son appétit de conquêtes, sa détermination à avancer quoi qu’il lui en coute ; le parfum doux amer de mes rêves avortés.

    Jamais je ne lui avouerais qu’il ne peut me faire souffrir. Un homme qui ne peut pas vous faire souffrir, c'est un homme qu'on peut aimer mais avec une certaine limite, qui n'a pas d'emprise sentimentale sur vous.

    Alors, est ce là la pierre de touche d’un amour ?

     



    D’un autre coté la souffrance lorsqu’elle vous vient d’un homme aimé est une souffrance très particulière.


    « Souffrir par toi n'est pas souffrir" chantait Julien, voilà longtemps.


    Pour mesurer le degré de mon sentiment envers Chris , je suis bien obligé de reconnaître que je ne peux souffrir par lui, donc, par extension , que mon amour est limité.


    Nous nous sommes rencontrés en Sardaigne.
    Chris guidait un groupe de touristes Grands Bretons à la découverte du bassin Méditerranéen ; je profitais de quelques jours de vacances dans la jolie maison blanche et bleue du dernier mari de ma mère.


    Il n’y eut ni feu d’artifice, ni lâché de ballons, pas même un frisson d’aile dans un ciel dévoré de soleil. Juste une évidence, une simple et banale évidence.
    L’évidence que nous nous complétions parfaitement, que « nous allions bien ensembles » ; l’évidence que nous irions encore mieux ensembles une fois nus.


    Nous avons ri, nous avons bu, nous avons dansé, nous avons fait l’amour à nous en écorcher la peau puis Chris est parti pour Syracuse.


    On s’est dit ciao, c’était sympa et on s’appelle, promis !


    Personne n’y croyait réellement tant les amours de vacances ressemblent à des parenthèses enchantées que l’on referme en même temps que nos valises.


    Puis contre toute attente Chris a appelé.


    Je négociais un contrat à Tanger, lui par un de ces hasards bêtes de la vie se trouvait à Rome.


    Il a dit :

    « -Ce n’est pas grave, je termine mon tour demain et rien ne m’oblige à rentrer de suite à Paris. Attend moi.


    J’ai dit : « Je t’attends. »

    On m’avait conseillé, dans Tanger, de passer par le très pittoresque Café Marhaba al Hafa.

    De sa terrasse en degrés, creusée à flanc de falaise, ou les chats paressaient parmi les fleurs sauvages, on apercevait la côte Espagnole.

    Naguère, le "Hafa", dont la particularité est de ne pas servir de Café mais uniquement du thé Marocain, accueillait aussi bien les Beatles ou les Rolling stones que Paul Bowles et Jack Kerouac.

    Aujourd’hui si l’on peut toujours se régaler d’un délicieux thé à la menthe sur ses tables dépareillées, on y vient surtout pour s’y procurer le meilleur cannabis de toute la côte.


    Chris et moi avons fait emplettes de quelques boulettes puis nous sommes remontés fumer tranquillement au bord du précipice.


    Chris a dit qu’il n’y avait rien devant nous, sinon le vide et la falaise.
    J’ai répliqué qu’au contraire, il y avait la mer, plus loin l’Espagne et encore plus loin l’Europe toute entière.


    Chris a secoué la tête tout en tirant sur son joint.


    « -Tu te trompes, il n’y a que le vide et l’attrait du vide. L’envie de se pencher jusqu'à ce que l’idée de tomber fasse mal.


    J’ai passé un bras affectueux autour de son cou, attiré sa tête blonde vers mon épaule.


    « -Et toi, qu’est ce qui te rattrapes dans ces moments là ? Ais je demandé d’une voix légèrement embrumée par le shit.


    Chris s’est dégagé un peu brusquement de mon étreinte protectrice.


    « -La même chose que toi V. Le fait de vouloir à nouveau ce vertige. » A-t-il répondu en me regardant bien en face.


    J’ai su alors, qu’en dépit de son jeune âge et de son inexpérience, celui là me devinais mieux qu’aucun de ses prédécesseurs n’avaient su le faire.


    Ce soir là, au bord de la falaise Hafa, moi qui n’ai connu d’autre vertige que celui des hommes et de la nuit, je me suis vu tomber comme en un tourbillon dans les yeux dorés du garçon qu’aujourd’hui encore je redoute d’aimer si peu, d'aimer si mal.

    JULIEN CLERC: " Souffrir par toi n'est pas souffrir"
    podcast

  • " Profumi di Roma."

    zzzz-j-villa-borghese-05-08.jpgRome Printemps 2008.

    Comme j’avais dû lui faire de la peine.
    Comme je comprenais à présent à quel point ma légèreté, ma désinvolture, mon manque de discernement l’avaient blessé, tandis que mes sourires chagrins, mes baisers roses et melliflus, mes mines de chattemite, mes cajoleries patte pelues se heurtaient à son air cabochard, son mutisme dédaigneux, cette obstination rosse qu’il mettait à éviter mon regard, cet orgueil de commis aux ordres d’un chef calomnieux avec lequel il manœuvrait en cuisine, versant à dose égale et intervalles précis le jus roux d’un bouillon de bœuf dans le caquelon de terre bistre ou achevaient de blondir le riz, le lard, les échalotes, qu’il transmuerait d’une main illusionniste et inspirée en un superbe risotto au Gorgonzola , aux poires et au Gingembre .

    Cocufié, il m’aurait probablement tranché la gorge et balancé encore agonisant dans les eaux brunes d’un Tibre qui n’en pouvait plus de charrier des cadavres tumescents depuis les temps immémoriaux ou Latins, Sabins, Etrusques se partageaient les marécages de la plaine du Latium, hélas nul sang versé ne se montrerait assez abondant, assez noir, assez âpre pour laver l’affront subit.

    Que je revois Julien, dit « Beau. Masque », mon premier véritable grand amour, de passage quelques jours à Rome, que je lui serve de guide dans une ville aux multiples splendeurs et qu’il ne connaissait pas, Silvio pouvait encore, quoique d’assez mauvaise figure, l’admettre. En revanche que j’offris à ce même Julien les trésors insolites, ignorés des touristes comme de certains autochtones, d’une cité interdite aux profanes; secrets protégés, chuchotés, échangés sous le manteau comme ont eut échangé des pamphlets au temps des dictatures, secrets que Silvio dont l’ascendance Romaine remontait, selon ses dires, à Tarquin le superbe, m’avait transmis en gage d’amour eternel, dépassait son entendement comme ses possibilités d’absolution.


    Le plus curieux dans tout cela est qu’il avait envisagé, un instant, de faire lui-même à « Beau. Masque » les honneurs de sa Rome buissonnière, escomptant de manière très Latine que sa présence à nos cotés freinerait des rapprochements qu’il savait impossibles mais que par pur masochisme il s’échinait à estimer probables dés lors qu’entraient en jeu deux épidermes particulièrement réactifs, la douceur imprégnée d’amertume des retrouvailles, les traitrises férocement rayonnantes d’un printemps Italien qui déjà se parait des Gonfalons bravaches d’un été vociférant la promesse orageuse d’une ultime échauffourée. Et puis il s’était ravisé, sans raisons, sans explications, comme il eut plaqué un dernier accord aux touches d’un piano au beau milieu d’un concertino, me mettant en quelque sorte dans l’obligation de prouver sinon mon amour, du moins ma bonne foi en entrainant Julien sur les sentiers balisés des tours opérateurs.

    Il me connaissait bien, pourtant, depuis un an que nous vivions ensemble. Il ne pouvait prétendre ignorer que je ne faisais jamais que le contraire de ce que l’on attendait de moi.

    La jalousie, cependant, le tenaillait moins que la pensée obsédante, cruelle, perfide de savoir partagé par un autre un privilège que je lui devais, un peu à la manière d’un mari berné dont l’épouse se parerait des dessous chics qu’il lui aurait donnés pour séduire un rival.


    Les seules paroles qu’il ait daigné m’accorder à mon retour étaient, en l’occurrence, assez éloquentes.

    « -Tu as toujours ta bague ! Tu ne la lui as pas donnée ? Dommage !

    Cette bague, une topaze montée sur platine, Julien l’avait admirée sans retenir ma main dans la sienne plus longtemps que nécessaire.

    « -Mazette ma chère, il ne te refuse rien ! De mon temps, s’il m’en souvient encore, tu te contentais d’un minable anneau d’argent incrusté de turquoises. Fausses en plus les turquoises, je peux bien te l’avouer maintenant.

    « - Saloperie, tu mériterais que je te traine par la peau des couilles via Bocca di Leone, chez « Versace ».

    « -Toujours aussi cupide, « Mauvaise. Graine » ?

    « - Toujours des oursins plein les poches « Beau. Masque » ?

    Nous commençâmes notre périple par une visite de Santa Maria dell’ Orto dans le Trastevere, une église discrète, étriquée, coincée entre les bâtiments de l’ancien hôpital et les hautes façades d’immeubles modernes, mais dont le petit jardin ou poussent, vertes et vivaces , à l’ombre d’une cote de baleine aussi spectaculaire qu’incongrue, ex voto d’un marin au long cours soigné et guéri en cet hospice, des aromates, de mauvaises herbes et la « Latarella » , cette « terre crépie », sorte de pissenlit sauvage dont ne sauraient se passer les épaisses soupes de pays parfumées à l’os de jambon et à l’échine de porc, est un asile de fraicheur, de senteurs ,de couleurs; le camerlingue un homme exquis érudit, bienveillant ; le maitre autel supportant « La machine des Quarante heures » , structure complexe de bois précieux doré à l’or fin ornée de 213 bougies que l’on allume toutes au même instant le Jeudi Saint , une pièce unique signée Luigi Clémenti.

    Nous marchâmes ensuite une heure durant parmi les rues et les ruelles quasiment désertes en ce tout début d’après midi, interrogeant les symboles cabalistiques qui, aux frontons de certaines arches, portes, gorges ou portières prétendent révéler l’avenir aux Rose-Croix, écoutant le murmure des statues, le silence oisif des fontaines, nous marchâmes jusqu’à la villa Borghèse dont je voulais faire découvrir à Julien le délice Anglais des jardins en terrasses , la grâce frêle et vide du temple d’Esculapes, perdu au bord d’un lac romantique dont les eaux argentées bruissaient ,entre les racines des arbres, comme un refrain d’harmonica, mais aussi et surtout les collections de Scipion Borghèse auxquelles s’ajoutent, non moins remarquables, celles de la famille Aldobrandini.

    Plus qu’aux joyaux de Raphaël , Ghirlandaio, Le Corrège, Botticelli, Bruegel l'ancien, Le Caravage, « Beau .Masque » , Ajaccien poussé , insolent et profane entre les petites rues Sainte Claire et Saint Charles, contre le flanc rose Vénitien de la cathédrale même ou, deux siècles auparavant furent baptisées toutes les futures têtes couronnées d’Europe, se montra sensible à la nudité altière ,opulente , scandaleuse , de cette « vénus Impériale » due au ciseau d'un Canova inspiré par le charme sans égal de la princesse Pauline Borghèse née Paoletta Bonaparte, elle qu'avec indulgence et affection l'Empire surnommait "Notre Dame des colifichets » , elle ,la plus belle et, au grand dam de son auguste frangin ,la plus chaude femme de son temps, l’éclat nacreux du marbre blanc peinant d’ailleurs à tempérer, l’obscure aura de prédatrice sexuelle et la plantureuse sensualité Méditerranéenne du modèle .

    De la Piazza Napoleone ou nous nous trouvions, nous dominions, du Champs de Mars jusqu’à l’Aventin, la ville entière.

    Rome s’étendait à nos pieds, immense et lascive, austère et solennelle comme les longues limousines noires glissant silencieuses le long des artères du Vatican, vulgaire et hâbleuse telles les putains callipyges offrant leurs charmes bruns et laiteux , leurs rires éraillés de filles folles aux berges du vieux fleuve.

    Des hauteurs du Pincio, un escalier déboulait jusqu’à la piazza Del Popolo qui n’est pas selon l’idée reçue la « Place du Peuple » mais la « place du peuplier » puisque selon la légende un peuplier y poussa à l’emplacement du mausolée de Néron.

    Négligeant l’obélisque en granit rose d’Héliopolis et les églises jumelles de Santa Maria di Montesanto et Santa Maria dei Miracoli, j’entrainais un « Beau. Masque » déjà fourbu et gavé de bondieuseries, vers un espace de détente, de plaisir, d’harmonie que Silvio et moi, tous nos sens en émoi, visitions au moins une fois par semaine, « l’Olfattorio » de la via Repetta, à ma connaissance le seul bar à parfums au monde.

    Dans un décor épuré au froid tapi d’aluminium blanc, la boutique, crée par les sympathiques Renata De Rossi et John Gaidano ,offrait aux nez musards le privilège de s’émouvoir de plus de deux cent « essences absolues », permettait dans son grand Olflatorium, véritable conservatoire du parfum, d’assister à des cours professionnels n’excluant pas les profanes et de savourer au mini bar dans des calices de papier montés sur de fines tiges de plastique translucides les sortilèges d’arômes complexes aussi enivrants que cette « part des anges » que l’on respire à la frange châtaine des grands Cognacs .


    On venait à l’Olfattorio, pour y siroter une flute de mures d’été et de musc patchouli, une coupe de poussière de roses au cœur automnal de fruit secs et de pétales doucement fanant sur un fond de cannelle et d’encens, un grand verre de diabolo rose, pétillant de toute la verve de la menthe poivrée et de la Bergamote de Sicile , comme en un five o clock dans le boudoir d’une cocotte , une tasse de rose praline aux accents chaleureux de chocolat noir et de Lapsang Souchong ou, masculin en diable, un cocktail de citron , de vanille , de mandarine et de cuir, mais aussi pour y choisir , voire y composer un parfum de circonstance ; celui d’un premier rendez vous ou d’un dernier baiser.


    Ravi comme un gourmand dans une chocolaterie, « Beau .Masque » oiselait de terres d’épices en jardins imaginaires, voyageait de Badiane Chinoise en Frangipane de Calabre, redécouvrait la saveur lactée des premières figues, le gout poisseux des tartes à la confiture, s’illuminait d’ambre gris et du velours noir des tubéreuse, tandis que j’échouais à retrouver le « chaud –froid » mordant , les soleils de glace de cette eau de violettes et de piments , d’Absinthe et d’Angéliques, crissant de cassis bleu, crépitant d’aiguilles de pin que j’aurais aimé offrir à Silvio en gage de reddition .

    Certains couples se séparent à cause d’un mensonge, d’une trahison, d’autres par lassitude ou par ennui, Silvio et moi nous sommes quittés pour l’insolente simplicité d’une note éblouie de mimosa, de mandarine rouge et de bois blanc qu’un « Beau. Masque » taquin déposa derrière mon oreille et sur mon cou, mouche au rosier.

    Mais qu’importe la raison ou l’absence de raisons puisque je ne regrette rien.

    Silvio ne m’aimait plus et Julien était beau.