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" Une Rumeur d'indécence."

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Il faisait partie du petit groupe, du petit clan, du petit cercle dont aimait s’entourer Walter cette saison là, un aréopage de jeunes hommes, brillants de cuir et d’acier, moins beaux du reste que singuliers, ou du moins dont les beautés, en bouquet de foulards noués à la diable, crachaient du feu contre le noir doux des mohairs, le gris lentement irrégulier des flanelles, le blanc fluide des mousselines, sonnaient à contretemps, à contre-courant et presqu’à contrecœur d’un idéal masculin, dégradé en sépia et lilas sur le papier glacier , un peu raide, un peu lisse, un peu flou des magazines de mode.

C’était là tout le géni d’un Walter capable de rendre de l’éclat aux imparfaits, du piquant aux laids, de la finesse aux sots, que de mélanger les styles , les genres , les humeurs, les horizons sans que l’ensemble ne paraisse ni anachronique ni disgracieux, que de savoir s’inventer des cours chiffons et coutures, argotières et distinguées, déraisonnables et raisonneuses, des cours qui d’ailleurs le courtisaient moins qu’elles ne le brocardaient, le caressaient moins qu’elles ne l’épinglaient, le ménageaient moins qu’elles ne le bousculaient et dont tout Paris raffolait tant elles mettaient d’insolence à dynamiter les conventions d’un microcosme fatigué de prendre la pose , d’emprunter aux grands livres de grandes idées, de grandes attitudes aux grands monuments et de faner sur pied, du coté de Guermantes , en polos Ralph Lauren et manteaux de pluie Burberry’s, le teint aussi vieil ivoire que le lait clair coulant aux cierges des sacristies.


D’où qu’ils viennent et ou qu’ils aillent, ces garçons, avocats, médecins, financiers, politiciens, journalistes, cinéastes en devenir, bruissaient d’idées, pétillaient d’inventions, fourmillaient de projets, regorgeaient d’ambitions et bouffaient la vie de leurs dents blanches et saines à croquer dans toutes les pommes avec des appétits cyclopéens d’ogres cannibales. Leur jeunesse rutilait autant que leur esprit, leurs rires immenses déboulaient dans la quiétude des diners comme des avalanches sur de paisibles vallées, les débats d’idées dans lesquels ils s’affrontaient, sabre au clair, à coup de passes inspirées , de bottes imparables, de parades, de tierces , de primes élégantes et féroces déchiraient les dolences roses pompons des salons , dissipaient les langueurs bleues gitanes des pubs et des cafés.


Ils allaient partout, aussi à l’aise dans les palaces que dans les cambuses, ils buvaient beaucoup et à toutes les fontaines, se droguaient un peu, davantage afin de tester leurs capacités à résister aux addictions que pour gouter à des tumultes, des tournoiements dont ils savaient très bien les dangers comme, mortelle et légère, la superfluité, baisaient avec gourmandise qui leur plaisait et se gardaient d’aimer comme on se protège d’une maladie tropicale, foudroyante et fatale.

Est il besoin de préciser qu’à vingt ans tout lisses, tout ronds, l’esprit vide et le cœur pendulant d’adolescents hébétés dont je me lassais aux premiers reproches, en trentenaires vite agacés par mes Gasconnades et autres pitreries, au visage le chagrin de ceux qui, à force d’avoir tout, ne désirent plus rien, portant haut une physionomie qui ne devait ses airs de tête qu’aux millions de milliers de milliasses de caillasses péniblement sués par papa , je ne faisais pas partie du cénacle ?

Walter s’il m’adorait me trouvait trop immature, trop fluet, trop fragile pour affronter ses hommes liges aussi se contentait il lorsque dans le tapage des discothèques je croisais son sillage vétiver, d’embrasser paternellement mon front, de glisser, si discrètement que je ne m’en rendais pas toujours compte, une liasse de talbins dans la poche de ma chemise avant de me renvoyer à mes gamineries d’une tape affectueuse sur mes fesses à fossettes.

J’enrageais tant j’aurais aimé appartenir au groupe, me transmuer en l’un de ces types dont le moindre geste respirait l’aisance, l’assurance, la confiance en soi, le moindre sourire odorait l’haleine tiède des lauriers roses, le moindre mot brillait de l’éclat poli, debruté , facetté des pierres taillées.

Mes intentions, aussi pieuses soient elles, ne m’empêchaient pas, « Mauvaise . Graine » en herbe, de parfumer celles que je prêtais à Walter de manigance vénéneuses, puisque je le soupçonnais, à l’impulsion d’un compagnon dont il était tragiquement épris, de faire ménage avec tout son monde.


L’un et l’autre m’assuraient, parfois riant comme à une mauvaise blague, parfois m’opposant les figures navrées de ceux à qui l’on sert des fariboles, de l’exclusivité de leur passion, cependant puisque le mot « exclusif » ne faisait pas partie de mon dictionnaire amoureux et comme je ne voyais pas d’autre raison légitime à ma mise à l’écart je n’en croyais rien.


Ainsi continuais-je d’essaimer, sourde et confuse, ma rumeur partouzarde, me targuant d’un lien de parenté avec Walter qui n’existait que dans mon imagination, alors prolixe, pour étayer le bien fondé de mes dires.

Je n’avais, du reste, pas la moindre idée des ravages que de telles allégations pouvaient causer puisque les racontars aussi nombreux que fantaisistes courant sur mon compte me donnaient à rire plus qu’à pleurer. Pour tout dire, il arrivait, lorsque la fantaisie m’en prenait ou bien lorsqu’il me semblait que mon nom ne circulait pas assez, que je devienne moi-même la source des saloperies que l’on colportait à mon endroit, allant ensuite, histoire de donner du vent à mes moulins, jusqu’à m’indigner, ma vertu pudiquement drapée dans les plis outragés d’une robe de vestale, des tocsins dont j’avais déclenché les volées.

Le retour de bâton ne se fit guère attendre.

Nous célébrions à Autheuil et en grand comité l’anniversaire de belle-maman.


Il y avait tant d’invités qu’il me semblait ne connaître personne.


Une chaleur anormale, opaque et sablonneuse pesait sur les jardins qu’elle poissait. Même sous les tentes de frais draps bleu ou se tenaient buffets et bars on suait des chandelles.

En dépit ou à cause des litres de champagne que j’éclusais depuis le matin, je me sentais absent et distrait, paresseux et rêveur.
Je m’isolais au pied d’une des terrasses, assis sur la margelle d’une fontaine dont le débit ragaillardi par les pluies des jours enfuis, stridulait un murmure enjoué.


J’étais occupé à me rouler un joint lorsque je le vis s’avancer vers moi d’un pas martial.
Le plus beau des amis de Walter, ou du moins celui de la bande qui me plaisais tellement que je rêvais souvent qu’il me prenait dans ses bras.

Etudiant en journalisme m’avait on dit, aspirant à barouder en zones de guerre, sur des terres périlleuses, inconnues et hasardeuses, aussi aventureux qu’aventurier selon la même source, un poil boucanier même, cogneur de mauvaises figures et séducteur impénitents de jeunes camélias blancs aux grâces froides et polies.

Plus Corse de surcroit que l’échauguette de Sartène, les granits gris zébrés de serpentine de la Scala di Santa Regina ou que cet océan de châtaigner qui des hauteurs de Morosaglia roule ses vagues vertes et fraiches jusqu’aux sources pétillantes d’Orezza.

En somme un garçon pas rassurant du tout et qui donc ne pouvait que me plaire.

« -C’est toi V ? demanda t il d’une voix aussi brulante que les glaces du Cinto.

« - Comme si tu ne le savais pas ! Répliquais-je sur un ton non moins polaire.

Son pied vint frapper méchamment le mien.

« -C’est toi la salope qui raconte toutes ces histoires de partouzes au sujet de Walter et de mes amis ?

Je tirais sur mon joint, souri à la lumière ailée d’un rayon de soleil qui sur mon nez, mes joues, mon front bourdonnait comme une abeille.

« - On ne peut rien te cacher.

Il m’arracha de mon muret comme si je n’avais rien pesé.


« - Ecoute moi bien , petite merde , si j’entends encore un mot , tu as compris , un mot , pas deux , pas trois , un seul mot de cette histoire , je te jure sur la croix et quoi qu’en dise Walter ,d’esquinter ta belle petite gueule de minet rupin au point que même ta mère , si tu en as une ne te reconnaitras plus ! Tu as compris salope ?

Partagé entre une envie de rire et une excitation on ne peut plus déplacée, je répondis à tout hasard que oui, Monsieur, j’avais compris.


Il me laissa choir comme un sac de charbon dans la cave d’un bougnat, me lança un regard aussi méprisant qu’un crachat et reparti au diable d'ou il venait.

Affalé dans l’herbe rase, pas même endolori, je riais comme un âne et bandais comme un turc.


Cette histoire, je le pressentais, finirais soit dans un lit, soit dans un bain de sang.

Cependant, et pour l’heure, Julien m’avait dans le nez bien plus que dans le cœur.

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