Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

julien clerc

  • " Dernier été à Tanger"

    zzzzzzzz-art.jpgChris encore, Chris toujours !
    Si vous en avez assez de mes Chris par ci, Chris par là, vous pouvez bien me le dire, les commentaires servent à ça. Mais si je ne vous parle pas de Chris je vous parlerais d’autres garçons fondus dans le même creuset, alors autant vous entretenir de celui du moment.


    « Le garçon du moment » : Dieu que cette expression semble cynique.
    « Le garçon du moment » comme le dernier gadget de « Pif » ou le parfum du mois.


    La tendance actuelle, celle dont on sait bien qu’elle passera plus vite que le café, qu’elle sera remplacée par une autre, pas forcément plus agréable, pas forcément différente même, mais subtilement autre, suffisamment inhabituelle en tous cas pour qu’on lui trouve la fraicheur verte et moussue des sources vierges.
    Mes amants avaient tous les yeux obliques des poisson-chat, parfois le même prénom, du gout pour une certaine barbarie à face d’archange, des rébellions de poulains débâtés ; seul changeait le regard que chacun d’eux portait sur moi et qui me faisait me sentir dissonant, discordant, mais neuf et comme rajeuni.

    Du reste, je ne songe jamais lorsque je rencontre un homme : « Celui là sera mon dernier amour, mon dernier rêve sera pour lui ».

    Je trouve un peu sinistre de s’entendre dire « Je veux vieillir avec toi » même si l’idée de vieillir ensemble, à deux, cote à cote me parait belle en soi. A la limite je préfère la brutale franchise d’un « Nous ne vieillirons pas ensemble ! ».

    J’ai besoin de garder l’impression que ce qui existe aujourd’hui n’existera peut être plus demain. Cela me permet de rester ouvert, d’échapper à la pause, aux grandes attitudes mélodramatiques.

    En revanche il m’est arrivé d’aimer à nouveau un homme que j’avais aimé par le passé. J’ai besoin de penser qu’il reste toujours quelque chose d’un amour, en latence, en attente : une empreinte, une blessure, une braise.


    J’ai du désir pour Chris, parce qu'il est jeune, beau et intelligent. Cependant, très vite, je me suis rendu compte que cela ne me suffisait pas.

    En fait Chris ressemble au garçon opaque et lumineux que j’étais à son âge. Dire que je me retrouve à travers lui me semble toutefois un peu exagéré.

    C’Est d’avantage un parfum que je retrouve au travers de ses immenses ambitions, son appétit de conquêtes, sa détermination à avancer quoi qu’il lui en coute ; le parfum doux amer de mes rêves avortés.

    Jamais je ne lui avouerais qu’il ne peut me faire souffrir. Un homme qui ne peut pas vous faire souffrir, c'est un homme qu'on peut aimer mais avec une certaine limite, qui n'a pas d'emprise sentimentale sur vous.

    Alors, est ce là la pierre de touche d’un amour ?

     



    D’un autre coté la souffrance lorsqu’elle vous vient d’un homme aimé est une souffrance très particulière.


    « Souffrir par toi n'est pas souffrir" chantait Julien, voilà longtemps.


    Pour mesurer le degré de mon sentiment envers Chris , je suis bien obligé de reconnaître que je ne peux souffrir par lui, donc, par extension , que mon amour est limité.


    Nous nous sommes rencontrés en Sardaigne.
    Chris guidait un groupe de touristes Grands Bretons à la découverte du bassin Méditerranéen ; je profitais de quelques jours de vacances dans la jolie maison blanche et bleue du dernier mari de ma mère.


    Il n’y eut ni feu d’artifice, ni lâché de ballons, pas même un frisson d’aile dans un ciel dévoré de soleil. Juste une évidence, une simple et banale évidence.
    L’évidence que nous nous complétions parfaitement, que « nous allions bien ensembles » ; l’évidence que nous irions encore mieux ensembles une fois nus.


    Nous avons ri, nous avons bu, nous avons dansé, nous avons fait l’amour à nous en écorcher la peau puis Chris est parti pour Syracuse.


    On s’est dit ciao, c’était sympa et on s’appelle, promis !


    Personne n’y croyait réellement tant les amours de vacances ressemblent à des parenthèses enchantées que l’on referme en même temps que nos valises.


    Puis contre toute attente Chris a appelé.


    Je négociais un contrat à Tanger, lui par un de ces hasards bêtes de la vie se trouvait à Rome.


    Il a dit :

    « -Ce n’est pas grave, je termine mon tour demain et rien ne m’oblige à rentrer de suite à Paris. Attend moi.


    J’ai dit : « Je t’attends. »

    On m’avait conseillé, dans Tanger, de passer par le très pittoresque Café Marhaba al Hafa.

    De sa terrasse en degrés, creusée à flanc de falaise, ou les chats paressaient parmi les fleurs sauvages, on apercevait la côte Espagnole.

    Naguère, le "Hafa", dont la particularité est de ne pas servir de Café mais uniquement du thé Marocain, accueillait aussi bien les Beatles ou les Rolling stones que Paul Bowles et Jack Kerouac.

    Aujourd’hui si l’on peut toujours se régaler d’un délicieux thé à la menthe sur ses tables dépareillées, on y vient surtout pour s’y procurer le meilleur cannabis de toute la côte.


    Chris et moi avons fait emplettes de quelques boulettes puis nous sommes remontés fumer tranquillement au bord du précipice.


    Chris a dit qu’il n’y avait rien devant nous, sinon le vide et la falaise.
    J’ai répliqué qu’au contraire, il y avait la mer, plus loin l’Espagne et encore plus loin l’Europe toute entière.


    Chris a secoué la tête tout en tirant sur son joint.


    « -Tu te trompes, il n’y a que le vide et l’attrait du vide. L’envie de se pencher jusqu'à ce que l’idée de tomber fasse mal.


    J’ai passé un bras affectueux autour de son cou, attiré sa tête blonde vers mon épaule.


    « -Et toi, qu’est ce qui te rattrapes dans ces moments là ? Ais je demandé d’une voix légèrement embrumée par le shit.


    Chris s’est dégagé un peu brusquement de mon étreinte protectrice.


    « -La même chose que toi V. Le fait de vouloir à nouveau ce vertige. » A-t-il répondu en me regardant bien en face.


    J’ai su alors, qu’en dépit de son jeune âge et de son inexpérience, celui là me devinais mieux qu’aucun de ses prédécesseurs n’avaient su le faire.


    Ce soir là, au bord de la falaise Hafa, moi qui n’ai connu d’autre vertige que celui des hommes et de la nuit, je me suis vu tomber comme en un tourbillon dans les yeux dorés du garçon qu’aujourd’hui encore je redoute d’aimer si peu, d'aimer si mal.

    JULIEN CLERC: " Souffrir par toi n'est pas souffrir"
    podcast