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Contes défaits de mon ciel de lit. - Page 19

  • « Rentrée des classes, sortie de placard. »

    zzzzzz-v-by-fx-96-02.jpgDavid, Sandra et moi entrâmes en seconde sans le moindre enthousiasme.


    Terrassés d’ennui à la simple pensée de devoir affronter les homélies laïques que nous dispenseraient d’un timbre tout bercé de monotonie automnale des profs aussi peu soucieux de notre avenir que nous l’étions nous mêmes, déterminés à ne rien apprendre qui put entraver une libre pensée que nous qualifions exagérément de nihiliste alors qu’elle n’était qu’un vaste foutoir de lieux communs ramassés dans des magazines de salle d’attente, nous cheminions à petits pas de misère vers le seul bahut Parisien qui voulut encore de nous.

    Il y avait belle lurette que la rentrée des classes – que Sandra appelait « la rentrée des Alpes » en raison de ses allures moutonnantes - n’avait plus pour nous le parfum nostalgique du cuir de Russie, de la colle blanche, fluide comme de la crème aux amandes et des pastels aussi gras et capiteux que les fards des houris du prophète , belle lurette que nous n’éprouvions plus aucun plaisir à parader dans des vêtements neufs et chers, absolument identiques à ceux que portaient nos camarades, ni à échanger des souvenirs de vacances plus ou moins imaginaires dans lesquels des flirts plus ou moins fantasmés se changeaient en expériences sexuelles plus ou moins inédites, elles totalement mensongères.

    Nous échouâmes cette année là dans une classe littéraire ou on lisait plus volontiers « Biba » et « Vogue » que Montesquieu ou Molière, classe presqu’exclusivement composée de fausses vierges affichant ce qu’il restait de leur bronzage et de leurs ruts estivaux dans des petites robes, encore assez légères, aux teintes gourmandes de bonbons et qui s’évasaient au dessus du genou avec des grâces alanguies de pétales ployés par les notes romantiques et poudrées dont ces jeunes filles si peu rangées parfumaient leurs ourlets.
    Les cils passés au bleu Majorelle, les lèvres au rose de caftan, voilée de transparence Indiennes, scintillante de sequins argentés, Sandra, en pleine période baba-cool post Woodstock tendance Katmandou/Marrakech avec un détour par la rue Spontini, comme d’ordinaire dénotait, tandis que David et moi, seuls garçons à peu près baisables parmi cet aréopage d’apprentie salopes déguisées en innocents magnolias prenions un plaisir sournois à répondre à leurs sourires mouillés par des regards de braises.

    Arrivé d’Afrique la veille, papa s’était ramassé dans les gencives avant même d’avoir put défaire ses valises, l’uppercut fanfaron de ma grande révélation sans que son sourire de porcelaine ne se fendille pour autant.

    « - C’est incroyable le nombre de pensées qui peuvent te traverser l’esprit en trente secondes, m’avouera t’il des années plus tard.

    Je me suis dit pourquoi lui, pourquoi moi? Pourquoi nous? L'ais je trop aimé ou pas assez? Pourquoi est il si calme, si sur de lui? D'ou vient cet éclat vermeil sur son visage? Sait-il au moins dans quoi il s’engage? J'ai cherché l'erreur, la faute, le coupable. Tes tantes, tes grand parents, ta mère, tout le monde y est passé. Et moi le premier! Par-dessus tout j’ai eut très peur. Du sida, bien sur, mais aussi du milieu ou j’avais beaucoup trainé avec mes copains gays dans les années 80. Ce milieu aux allures de fosse aux caïmans, ce milieu qui n’est jamais charitable. La fête perpétuelle, l’emphase, la dérision n’y sont que le masque d’une détresse infinie. Je ne connaissais alors aucun homo heureux. Tout ceux que je fréquentais étaient instables, rongés par le doute et la culpabilité, sombres, déchirés ou alors complètement égocentriques, enfermés dans des rôles de poupées de salons, d’infantes pavanantes, pétrifiés par la peur de vieillir, de ne plus séduire. Est-ce qu’un père peut souhaiter cela pour son fils? La plus atroce des réclusions, celle qui t’emprisonne en toi-même? J’aurais peut être dut mettre des barrières à ce moment là, t’imposer des conditions,poser des limites, encadrer cette nouvelle vie. Je ne l’ai pas fait, je n’ais pas voulu le faire. Egoïstement! J’ai songé, s’il tombe, s’il se fait mal, tant mieux, je le ramasserais, je le soignerais, je le récupérerais. Tu vois à quel point je peux me montrer minable ! Je t’ai regardé longuement. Tu avais l’air d’un bébé, mon bébé, pourtant je sentais ta force et ta détermination. Je savais, et tu le savais également, que nous n’avions pas affaire à un passage, à un rite d’adolescence mais que l’amour des hommes t’accompagnerait toute ta vie. Et je les ais maudits ces hommes, tu ne peux pas imaginer, eux qui allaient venir, séduisants et meurtriers pour m'arracher mon petit garçon, pour me l’enlever à jamais. Sans doute aurais je détesté des femmes avec la même force , d’avantage peut être puisque je les connais mieux. Cette dernière idée m’a fait comprendre que peu importait au fond que tu sois gay ou hétéro, ce qui comptait vraiment c’est que tes amours ne te blessent ni trop tôt ni trop fort, mais en la matière, j’étais impuissant. C’était ta vie que tu devais vivre ou qu’elle puisse te mener, quelques soient les chemins qu’elle puisse emprunter. Tu avais grandi sans que je m’en aperçoive. Mon rôle n’était plus de te protéger mais de te consoler. Alors j’ais fait une plaisanterie, je crois, à propos d’un magazine ou je ne sais quoi et puis je t’ai laissé partir. Tu te souviens, lorsque tu as emménagé rue d’Aboukir ? Tu m’as dit sur un ton de reproche « - Maintenant que tu as ta femme et ta fille, tu me laisses partir bien facilement ! ». Que pouvais-je répondre à cela, mon fils ? Parti tu l’étais depuis longtemps. Exactement depuis ce soir de Septembre 93 ou tu etais entré dans ma chambre avec l’allure bravache d’un général au pont d’Arcole et ou tu avais prononcé ces mots : « - Papa, je sais que je vais te faire de la peine, mais jure moi d'abord que tu ne m'aimeras pas moins. Papa,il faut que je te dise……. » Et tu vois, je savais, je savais déjà! Et je ne t'en aimais que d'avantage à supposer que ce soit possible!

      

    Ignorant tout de ces dilemnes, je me sentais, en ce matin de rentrée, une âme de jeune César. Je m'enivrais de moi même, de mes audaces, de cette liberté si facilement conquise et dont je pensais qu'elle me permettrait de me montrer tel que j'étais aux yeux du monde. Si j'en avais eut le pouvoir j'aurais organisé une "gay pride" à ma propre gloire. J'aurais aimé que chacun connaisse ma qualité d'affranchi.

    Du reste, chacun n'allait pas tarder à la connaitre tant je mis de constance à répéter à qui voulait bien l’entendre le petit discours de presentation que j’avais méticuleusement préparé.

     « - Salut . Je m’appelle V.V.S. M . J’aurais 16 ans à la fin du mois prochain. Ma famille est d’origine Ukrainienne, mais nous sommes établis à Paris depuis de nombreuses générations. Je suppose que ça fait de moi un véritable Parisien. Je n’ai jamais aimé l’école qui me l’a bien rendu. Cela ne signifie pas que je sois un élève difficile. Indifférent, tout au plus. Cependant, je suis doué pour les langues et j’adore l’Histoire lorsqu’elle s’échappe des livres d’Histoire pour venir me raconter des histoires. Je n’ai pour l’instant aucun projet d’avenir concret. Mon avenir sera ce qu’il pourra, ce qu’il voudra. Ma seule certitude à l’heure actuelle est d’aimer les garçons. Car oui, je suis gay ! Cela te pose un probléme? Non! Dans ce cas disons que tout va bien!

    Au lieu des vagues escomptées, mes coming-out succéssifs ne provoquèrent qu’un faible clapotis, une ride fugitive à la surface d’un lac ou des barques dociles dérivaient mollement parmi l’or brillant des Jacinthes et les bosquets d’Iris géants en direction de cette terre lointaine et étrangère, dangereuse peut être, que l’on appelait « VIE ACTIVE ». 

     En majuscules, en capitales, l’expression nous était martelée comme une sourde menace, « Lorsque vous entrerez dans LA VIE ACTIVE…. », « Quand vous affronterez LA VIE ACTIVE …. », à croire que l’existence, pourtant bien agitée, que nous menions durant nos années-lycée s’apparentait à une longue et paisible sieste dont nous nous réveillerions au lendemain du bac horrifiés de constater que les grandes et petites heures de nos leçons d’hébétudes n’avaient pas plus laissé de traces dans nos cervelles obtuses qu’un baiser envoyé du bout des doigts n’en laisse dans l’azur laiteux qu’il traverse.

    Légèrement dépité, je constatais que se révéler pédé en 1993 ne suscitait ni curiosité, ni scandale, ni controverse, pas même un bête ricanement qui m’eut au moins permis de faire de coup poing.
    Quelques filles cependant, me montrèrent de l’intérêt, sans doute persuadées de pouvoir me reformer, projet qu’elles abandonnèrent très vite, leurs agaceries se heurtant à un marbre qu’à coups de burin elles n’eussent sut entamer, préférant, dés lors, m’attribuer le rôle omnipotent d’arbitre de leurs élégances et confident de leurs peines de cœur.
    Et Dieu sait qu’elles romançaient des chagrins d’amour comme on brode des arabesques de jais sur la délicatesse chantante d’un velours rouge sang.
    Ces gamines, suaves comme des lys aux sucs empoisonnés, aimaient comme au théâtre. Il y avait du Racine dans leur aveuglement à s’embraser pour celui qui flambait ailleurs. Oreste aimait Hermione, Hermione aimait Pyrrhus, Pyrrhus aimait Andromaque laquelle aimait un tombeau.

    « - Vania, explique moi, toi qui connais les hommes pourquoi Jean-Hughes ne me regarde même pas et cavale après Natacha alors qu’elle sort avec Albert ! Elle est tarte en plus Natacha. Pas de seins, pas de fesses, pas de courbes. Il doit aimer jouer aux osselets, je ne vois pas d’autre explication. Ou alors c’est qu’elle couche cette grande salope ! »

    Bien entendu, toutes couchaient mais ces nobles Proserpine se seraient volontiers laissé noyer dans une caverne engloutie plutôt que d’avouer avoir abandonné leurs virginités dans des lits de hasard un soir qu’il faisait chaud et que leurs tailles dolentes comme de la soie turque s’enroulaient aux bras de garçon qu’elles trouvaient beaux.

    J’aimais assez cette idée absurde et qui courrait les préaux selon laquelle je connaissais les hommes, moi qui n’en connaissais qu’un seul et encore si mal. Cette ignorance, à vrai dire, ne m’empêchait pas de théoriser des après midi entières, dans des cafés prétoires ou nous fumions de la fumée et buvions des bulles, tandis qu’à la télévision Whitney Houston chantait « I will always love You. ».

    « - Les mecs, tu vois, disais je comme si je n’en étais pas un moi-même, ils sont comme ci ; ils sont comme ça…… », et d’enfiler des banalités telles des perles de pacotille le long d’un fil de nylon.

    Mes gracieuses m’écoutaient religieusement. La bouche légèrement ouverte, elles gobaient mes mouches cantharides comme les phalènes d’or d’une nuit ensorcelée, sans imaginer un seul instant que j’avais en la matière moins d’expérience que la plupart d’entre elles.
    Car si je voyais encore Stan, c’était à l’occasion et pour tuer le temps. Déjà je le trouvais moins séduisant. Bientôt il me paraîtrait tout à fait quelconque, jusqu’à ce que j’en vienne à me demander par quels mystères j’avais put me taper un vieux machin pareil.

    Mes jeunes filles en fleur avaient des frères en bourgeons et moi des appétits de plus en plus vivaces de chaires à peine carnées et d’innocences que je savais désormais comment convertir au péché.

     

     

     

     

     

     

  • " Chronique d'un dépucelage programmé." ( 7)

      « L’ennui mortel de l’immoralité. »

     

    zzzzzz-v-by-fx-94-05.jpgDavid fut le premier à regagner Paris dans les derniers jours d’Aout 93.
    Plutôt enrobé me sembla t’il, l’œil blanc-bleu, le teint radieux, les cheveux mi longs artistiquement décoiffés, rutilant d’arrogante santé et de chic Milanais - car enfin, s’habiller à Paris eut été du dernier commun - il m’étourdit aussitôt de ses bavardages flambards.


    Selon ses dires, la pédale à tête chercheuse abondait aux rives de l’Olona.


    Du touriste principalement.

     A dominante Nordique et Germaine.

    Du blond, du blanc, du suave, de l’éthéré.


    Des Botticelli à vous filer le tournis et des triques douloureuses, tel ce Danois de 19 ans dont le prénom s’éructait d’avantage qu’il ne se prononçait, évidement beau à s'en pâmer – River Phoenix en mieux ! - et pratiquant l’art subtil de la fellation comme « les anges soufflent dans leurs trompettes. », ce qui expliquait sans doute pourquoi, mon faux frangin avait si subitement enflé.

    Pour ma part, je cultivais un certain mystère, propre à l’intriguer lorsqu’il ne le mettait pas dans des accès de rage aussi féroces qu’hors de propos.

    David, à l’époque manifestait une tendance fâcheuse à me considérer comme son bien personnel, le moindre de mes actes se devant d’obtenir une bénédiction préalable qu’il accordait avec mansuétude dés lors que son égo n’avait pas à en souffrir.

     Depuis que, sous prétexte de nous entrainer mutuellement à des pratiques peu scolaires, notre amitié fraternelle avait versé dans l’ornière d’un flirt poussé jusqu’à ses extrêmes limites, et bien que pour ma part je n’ai jamais envisagé que nous puissions former un de ces petits couples inséparables depuis le jardin d’enfants et constamment ébahis d’eux même, David, s’il n’y pensait pas d’avantage, cherchait cependant à régenter mon existence de manière à vrai dire assez peu subtile et irrésistiblement macho.

     En d’autres termes, s’il ne voulait pas de moi pour boy friend, que j’aille me faire voir par un autre, ou pire que je puisse tomber sous une influence autre que la sienne le rendait bileux.

    Disposé à l’enquiquiner sans toutefois provoquer trop de vagues dans une âme que je savais ombrageuse, j’enchainais mensonges et contre-vérités d’une bouche sucre-candi dans laquelle, je le devinais à ses regards à la fois perplexes et avides, il se retenait de mordre au sang.


    Oui, minaudais je, j’avais rencontré quelqu’un, oui nous nous plaisions, non nous n’étions pas encore passé à l’acte, non je n’avais pas envie d’en parler, plus tard, peut être, si notre relation prenait un tour décisif.

    Bon prince, je daignais cependant lâcher progressivement quelques détails.

    Agé de 21 ans, mon fiancé fantasmé étudiait à l‘ENS de la rue d’Ulms ou il disposait d’une toute petite chambre. Il portait les cheveux longs et lisses, une frange romantique sur le front , s’habillait « grunge », écoutait « Nirvana » et « La Bohème », lisait la poésie de John Donne et les essais de Raymond Aron, deux auteurs dont j’ignorais tout mais dont j’avais remarqué les ouvrages dans la riche bibliothèque de Stan alors que j’élaborais les grandes lignes de mon conte à dormir cent ans, aimait les films de John Huston et ceux de Gus van Sant, et se trouvait embarrassé d’une famille catho coincée concevant l’homosexualité non comme une déviance, non comme une maladie , mais comme une forme extrême de possession diabolique.

    Où nous étions nous connus ?


    Dans le Marais. Tu as bien entendu, frélot, le Marais ou j’avais eut l’audace de m’aventurer tout seul sans que quiconque cherchât à me violer. Je prenais le soleil à la terrasse d’un café lorsqu’il était venu me parler.


    De quoi ?

    De rien ! Enfin si, du beau temps essentiellement et de mes yeux qu’il comparait à deux jeunes pousses dans la lumière tendre du printemps.


    Love at first sight ?


    Tout de même pas, juste le sentiment de tomber brusquement à la renverse mais sans crainte de se blesser puisque l’on sait que deux bras vigoureux nous rattraperons avant que nous ne touchions le sol.


    Son prénom ?


    Merde j’avais complètement oublié de lui donner un prénom. David, comme toi, oui c’est ça David. C’est joli du reste David, un prénom biblique, un prénom de roi. Qu’est ce que tu veux que je te dise, moi ? Une coïncidence bizarre de la vie voilà tout, on ne va pas chercher midi à quatorze heures en y voyant un signe du destin.


    Pourquoi nous n’avions pas baisé ?


    Parce que nous ne sommes pas des singes Bonobo à nous trimballer constamment la queue à la main ! Et puis c’est important une première fois. On ne fait pas ça à l’arrache, on attend d’être surs. Oui, de nos sentiments ! Je n’ais pas envie de me réveiller un beau matin complètement dégouté des hommes. En plus, à notre âge il y a toujours le risque de tomber sur un pédophile, et ça se serait vraiment la merde, tu ne crois pas ?

     

    Il ne croyait rien du tout, David, le flot de ses questions tari, il se contentait de me regarder un peu tristement, assis sur ce lit que nous avions partagé tant de fois, songeant sans doute qu’il y avait là non pas matière à une cassure définitive entre nous, mais plus grave, à la première de ces fêlures qui ébrèchent souvent les amitiés les plus solides, une faille dérisoire, minuscule, cependant susceptible de s’étendre, insidieuse et serpentine, de petite déception en petite déception, jusqu’à faire voler en éclats les miroirs jumeaux.

    Je n’étais, je le confesse, pas très fier de l’avoir amené exactement là ou je voulais le mener, c'est-à-dire dans des abimes de doute ou s’engloutissaient son infernale arrogance et la main mise de moins en moins supportable qu’il avait sur moi.


    De plus, s’il était quelqu’un à qui il était indigne de mentir, en dehors de papa, c’était bien à David. Cependant, dans la mesure ou j’avais finalement décidé de mentir à mon père en lui servant une version édulcorée de ma vie sexuelle, soigneusement expurgée des termes de « trentenaire », « millionnaire » et « pédophile », sans même parler des mots depuis longtemps bannis qu’étaient « sodomie », « bondage » et « soumission/domination », il m’avait semblé opportun de tester sur mon meilleur ami la crédibilité potentielle de ma bluette sentimentalo-niaiseuse. Si David y croyait, papa y croirait.

    Or David goba la mouche, l’hameçon, la ligne, la cane et le pêcheur.

    En revanche ce fut une toute autre histoire que je contais, le lendemain ou le jour d’après à une Sandra que je convoquais chez mon cher « Berthillon » sous prétexte de lui faire déguster une merveille de macaron fourré d'un praliné au citron et à la coriandre.


    A la « ravichiante », je dis la vérité sans en omettre les détails les plus intimes, doutant à plusieurs reprises de son attention tant elle semblait uniquement préoccupée de savourer chaque cuillerée de sa glace qu’elle laissait fondre lentement sur sa langue, les yeux mi clos, les narines un peu dilatées dans une mine gourmande de jeune chatte.


    Lorsqu’elle eut terminé son entremet, bu un grand verre d’eau fraiche, essuyé délicatement ses lèvres à une serviette monogrammée et remis du rouge, elle me fit remarquer avec un calme olympien qu’aussi immorale que soit mon aventure, il n’existait en ce bas monde rien de plus banal que l’immoralité, qu’en conséquence elle ne voyait pas du tout pourquoi je me prenais la tête, et la sienne par ricochet, pour pareille bagatelle.


    Je répliquais que le nœud du problème ne résidait pas dans l’affirmation rebattue qu’au sein de notre société, l’immoralité est banale, mais dans la constatation cruciale que rien ne prévient automatiquement les décisions rationnelles contre l’immoralité.

    Elle me répondit gentiment que si je considérais comme des décisions rationnelles les mensonges dont je gavais David avant d’en saouler papa, je me foutais le doigt dans l’œil jusqu’au coude et plus loin encore, qu’il n’y avait rien de rationnel dans le fait que contaminé par un menteur professionnel je me mette à mentir à mon tour et que la seule immoralité qu’elle trouvait à toute cette histoire résidait dans le plaisir que Stan prenait à me mentir comme dans la jouissance que j’éprouvais à lui laisser croire que j’avalais candidement ses couleuvres et ses crapauds. En conclusion elle admit ne pas comprendre pourquoi Stan et moi nos vautrions dans une relation, sans doute sexuellement fort gratifiante, mais profondément malsaine puisque chacun de nous y jouait un personnage de théâtre.

     Je ne trouvais rien à répondre à cela, pas plus que je ne voyais d’issue à une situation dans laquelle je m’étais laissé enfermer avec des voluptés d’odalisque dans un harem. D’un coté Stan me comblait aussi bien physiquement que matériellement, d’un autre coté je voyais poindre aux franges de nos nuits l’ennui mortel de l’immoralité, dans la mesure ou cette dernière n’obéissant à aucunes des lois naturelles régissant notre espèce, échappant à toute tentative de domestication, ignorait les antagonismes et donc interdisait ce qui, à mon sens faisait le sel d’une relation, le conflit qu’il soit ouvert ou larvé.

    Comme d’ordinaire, Sandra eut le dernier mot.

    « - Puisque tu es incapable de le jeter , tu n’as qu’à attendre qu’il le fasse lui même. Ce qui ne saurait tarder. Tu vas avoir 16 ans en Octobre, chouchou, tu seras donc trop vieux pour ses fantasmes de sale pervers. Ah et puis pendant que nous y sommes, ôte moi d’un doute ! Ce n’est quand même pas lui qui t’oblige à t’habiller comme un acteur de porno Allemand ? Si ? Parce que franchement V, j’ai beau t’aimer très fort, je ne suis pas certaine d’oser me promener dans Paris en ta compagnie. Non mais c'est vrai quoi, regarde moi cette touche! On dirait que tu t'es évadé d'un camps de scouts après un viol collectif!!

     

     

     

     

  • " Chronique d'un dépucelage programmé." ( 6 )

    " Dans la compagnie des hommes." 

     

    ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ-V-92.jpgNous touchions à Septembre lorsqu’en un ultime et narquois pied de nez, l’été revint aussi soudainement qu’il était parti.
    Enchanté de cette aubaine, dont il me semblait qu’elle retardait l’heure sinistre de la rentrée scolaire, j’en profitais pour me déloquer toujours d’avantage, adonisant ma parade de séduction pour millionnaire pédophile dans une quasi nudité, car si j’aimais, cette année là, porter crânement, un peu de traviole au dessus de l’oreille, d’amusantes casquettes de poulbot, nouer à mon cou des bandanas de couleurs que je roulais serrés comme des garrots, je vagabondais volontiers en chemisettes allègres, ouvertes sur un torse soigneusement débarrassé du fouillis de poils bruns qui, à ma grande désolation, commençait à lui donner des allures négligées de bocage, les parties tellement comprimées par des jeans coupés bien au dessus du genou, que toute érection inopinée devenait sinon impossible, du moins garante de graves attentats à la pudeur, le pire étant que je me trouvais choucard dans cet arroi alors que les tapins de la porte Dauphine eux mêmes, l’ eussent estimé outrancier.

    Peu m’importaient du reste les commentaires offusqués ou goguenards que suscitaient mes débraillés, du moment que Stan en avait la bave aux lèvres.

    Pris d’une véritable frénésie érotique ne devant rien aux flamboiements torrides d’une fin d’été ou les tomates braisaient sur pieds dans les potagers, mon homme flèche, mon homme javelot me jouait chaque nuit la version intégrale de la prise de Jérusalem par les armées de Saladin avec une fougue qui me donnait à penser qu’il était plusieurs, me laissant au matin aussi délabré que les murs du Mont des Olivier sans cesse pilonnés par les catapultes et les feux grégeois des infidèles, tandis que lui, aussi frétillant qu’une anguille dans l’herbe d’un talus, préparais un café salvateur tout en chantant d’une voix à provoquer un nouveau déluge, une version triomphante du « Here you come again » de Dolly Parton.

    Du cadavre sentimental exhumé par la fielleuse Comtesse de B., je n’avais pipé mot bien que je ne puisse m’empêcher, lorsque nos rares conversations s’y prêtaient, de balancer quelques doucereuses allusions, plus ou moins détournées, plus ou moins générales, à mon extrême jeunesse ou à ma supposées impécuniosité. S’il ignorait pudiquement le sujet de mon âge, Stan s’indignait volontiers que ma sainte famille me laissât sans ressource, aussi prit il l’habitude de me donner ce qu’il appelait « Ton argent de poche », repoussant ma main d’un petit geste bourru lorsque je feignais avec des mines scandalisées d’ingénu de refuser le « Pascal » tout craquant qu’il fourrait entre mes doigts en maugréant « - T’inquiète, j’ai des éconocroques à la Banque. », charmant euphémisme appliqué à un magot que la presse spécialisé classait au quatorzième rang des plus grosses fortunes de France.

    Si mon pécule quotidien ne me permettait pas de dévaliser « Cartier » ou « Vuitton » - ce qui du reste ne me venait pas à l’idée- il suffisait à combler mes gourmandises de gamin trop vite poussé.
    Ainsi dés que s’en présentait l’occasion filais je rue Saint Louis en l’Ile, chez « Berthillon », un glacier aux allures désuètes de vieux bistrot, ou je m’offrais, sous l’œil admiratif quoi que vaguement inquiet de la responsable du salon de dégustation, un festin de crèmes au lait d’amandes ou à la réglisse, de sorbets à la mûre de framboisier ou à la pêche de vigne, de cassate aux fruits givrés, de bombes au chocolat de mendiants fourrées à la fine champagne, bâfrant jusqu'à ce que le cœur me monte aux lèvres, si bien que j'en sortais toujours un peu étourdi, peinant à pousser devant moi une bedaine de notaire.

    Prétextant l’imminence de la rentrée et l’urgence ou je me trouvais de réviser mes mathématiques, matière dans laquelle je fournissais autant d’étincelles qu’un pétard au fond d’un étang, je délaissais le théâtre et l’hystérie collective d’une troupe de plus en plus traqueuse à mesure qu’approchait la générale, et baguenaudais des jours entiers sous l’intarissable soleil d’un Paris dont les charmes me semblaient démultipliés depuis que j’étais riche et dépucelé.

     Pour la première fois de mon existence, j’osais m’aventurer dans le Marais, rapidement désappointé d’y trouver les garçons nettement moins fantastiques que je ne l’espérais. La plupart me parurent ordinaires tant ils finissaient par se ressembler les uns les autres dans la préciosité exagérée qu’ils affichaient comme le mauvais décalque d’une posture de magazine, d’autres, au contraire me semblèrent tout à fait allogènes. Je découvris qu’il existait au sein de la population homosexuelle une multitude de clans, de castes, de groupes, de chapelles, de cénacles, tous régis par des codes physiques et vestimentaires rigides, et me demandais si un amour partagé de la bite s'avérait suffisamment fédérateur pour permettre à ces sous ensembles flous de coexister de manière harmonieuse. Je m’étonnais également, alors qu’assis à une terrasse je buvais une orange pressée, non pas d’être abordé par un, puis deux, puis un troisième garçon, mais que tous me prissent pour un provincial à peine débarqué dans la capitale. Je songeais que je devais avoir l’air passablement emprunté pour donner lieu à pareille méprise, à moins que dans l’esprit de tout Maraisien confirmé nouvelle tête ne rime forcément avec fleur de Province.

    Désœuvré, il m’arrivait quelquefois de rentrer Boulevard d’Exelmans pour m’y coucher dans le lit de papa ou, bien que les draps sortissent de la blanchisserie, il me semblait retrouver cette paisible odeur de tilleuls et de lavandes dont il berçait mon enfance.
    Habitué depuis toujours aux absences répétées de papa, celles-ci me devenaient de plus en plus cruelles à mesure que je grandissais, comme si à l’éloignement géographique s’ajoutait une très pudique distance masculine contrariant ces moments de tendresses que je goutais avec une voracité de nouveau né lorsque mon papa chéri m’autorisait à redevenir un tout petit garçon.

    A quinze ans, déjà plus grand que lui, je comprenais très bien qu’il trouvât ridicule et sans doute inconfortable que je me blottisse, assis sur ses genoux, dans l’encorbellement de ses bras, cependant il arrivait que ma nature anxieuse et certainement un peu paranoïaque, me fasse prendre ce déni de câlins pour un mystérieux et fatal attiédissement de l’amour absolu qu’il n’avait cessé de me prouver. Et la compagnie des hommes, des autres hommes, ne changerait rien à l’affaire puisque je ne prenais pas prétexte des liens intenses m’unissant à papa pour trouver une justification à une homosexualité qui à mon sens s’en passait très bien.


    Sans doute craignais je aussi de lui avouer, non ma pédéséxxualité, laquelle, du reste n’ayant rien de criminelle ne s’avoue pas plus qu’elle ne se confesse, mais, puisque j’étais déterminé à ne rien lui cacher, ma liaison, passée depuis peu en mode vicelard, avec un homme de quinze ans mon ainé, plus riche que Crésus bien que jouant volontiers les crève-la-faim et pédophile notoire.


    J’admis à cet instant, alors que je m’apprêtais à m’endormir dans les draps de papa, qu’il me faudrait encore bien du temps avant de me changer en parfaite « Mauvaise . Graine », et plus de temps encore pour parvenir à ce que cette « Mauvaise . Graine » pacifie enfin avec Vania.