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" Chronique d'un dépucelage programmé." ( 6 )

" Dans la compagnie des hommes." 

 

ZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZZ-V-92.jpgNous touchions à Septembre lorsqu’en un ultime et narquois pied de nez, l’été revint aussi soudainement qu’il était parti.
Enchanté de cette aubaine, dont il me semblait qu’elle retardait l’heure sinistre de la rentrée scolaire, j’en profitais pour me déloquer toujours d’avantage, adonisant ma parade de séduction pour millionnaire pédophile dans une quasi nudité, car si j’aimais, cette année là, porter crânement, un peu de traviole au dessus de l’oreille, d’amusantes casquettes de poulbot, nouer à mon cou des bandanas de couleurs que je roulais serrés comme des garrots, je vagabondais volontiers en chemisettes allègres, ouvertes sur un torse soigneusement débarrassé du fouillis de poils bruns qui, à ma grande désolation, commençait à lui donner des allures négligées de bocage, les parties tellement comprimées par des jeans coupés bien au dessus du genou, que toute érection inopinée devenait sinon impossible, du moins garante de graves attentats à la pudeur, le pire étant que je me trouvais choucard dans cet arroi alors que les tapins de la porte Dauphine eux mêmes, l’ eussent estimé outrancier.

Peu m’importaient du reste les commentaires offusqués ou goguenards que suscitaient mes débraillés, du moment que Stan en avait la bave aux lèvres.

Pris d’une véritable frénésie érotique ne devant rien aux flamboiements torrides d’une fin d’été ou les tomates braisaient sur pieds dans les potagers, mon homme flèche, mon homme javelot me jouait chaque nuit la version intégrale de la prise de Jérusalem par les armées de Saladin avec une fougue qui me donnait à penser qu’il était plusieurs, me laissant au matin aussi délabré que les murs du Mont des Olivier sans cesse pilonnés par les catapultes et les feux grégeois des infidèles, tandis que lui, aussi frétillant qu’une anguille dans l’herbe d’un talus, préparais un café salvateur tout en chantant d’une voix à provoquer un nouveau déluge, une version triomphante du « Here you come again » de Dolly Parton.

Du cadavre sentimental exhumé par la fielleuse Comtesse de B., je n’avais pipé mot bien que je ne puisse m’empêcher, lorsque nos rares conversations s’y prêtaient, de balancer quelques doucereuses allusions, plus ou moins détournées, plus ou moins générales, à mon extrême jeunesse ou à ma supposées impécuniosité. S’il ignorait pudiquement le sujet de mon âge, Stan s’indignait volontiers que ma sainte famille me laissât sans ressource, aussi prit il l’habitude de me donner ce qu’il appelait « Ton argent de poche », repoussant ma main d’un petit geste bourru lorsque je feignais avec des mines scandalisées d’ingénu de refuser le « Pascal » tout craquant qu’il fourrait entre mes doigts en maugréant « - T’inquiète, j’ai des éconocroques à la Banque. », charmant euphémisme appliqué à un magot que la presse spécialisé classait au quatorzième rang des plus grosses fortunes de France.

Si mon pécule quotidien ne me permettait pas de dévaliser « Cartier » ou « Vuitton » - ce qui du reste ne me venait pas à l’idée- il suffisait à combler mes gourmandises de gamin trop vite poussé.
Ainsi dés que s’en présentait l’occasion filais je rue Saint Louis en l’Ile, chez « Berthillon », un glacier aux allures désuètes de vieux bistrot, ou je m’offrais, sous l’œil admiratif quoi que vaguement inquiet de la responsable du salon de dégustation, un festin de crèmes au lait d’amandes ou à la réglisse, de sorbets à la mûre de framboisier ou à la pêche de vigne, de cassate aux fruits givrés, de bombes au chocolat de mendiants fourrées à la fine champagne, bâfrant jusqu'à ce que le cœur me monte aux lèvres, si bien que j'en sortais toujours un peu étourdi, peinant à pousser devant moi une bedaine de notaire.

Prétextant l’imminence de la rentrée et l’urgence ou je me trouvais de réviser mes mathématiques, matière dans laquelle je fournissais autant d’étincelles qu’un pétard au fond d’un étang, je délaissais le théâtre et l’hystérie collective d’une troupe de plus en plus traqueuse à mesure qu’approchait la générale, et baguenaudais des jours entiers sous l’intarissable soleil d’un Paris dont les charmes me semblaient démultipliés depuis que j’étais riche et dépucelé.

 Pour la première fois de mon existence, j’osais m’aventurer dans le Marais, rapidement désappointé d’y trouver les garçons nettement moins fantastiques que je ne l’espérais. La plupart me parurent ordinaires tant ils finissaient par se ressembler les uns les autres dans la préciosité exagérée qu’ils affichaient comme le mauvais décalque d’une posture de magazine, d’autres, au contraire me semblèrent tout à fait allogènes. Je découvris qu’il existait au sein de la population homosexuelle une multitude de clans, de castes, de groupes, de chapelles, de cénacles, tous régis par des codes physiques et vestimentaires rigides, et me demandais si un amour partagé de la bite s'avérait suffisamment fédérateur pour permettre à ces sous ensembles flous de coexister de manière harmonieuse. Je m’étonnais également, alors qu’assis à une terrasse je buvais une orange pressée, non pas d’être abordé par un, puis deux, puis un troisième garçon, mais que tous me prissent pour un provincial à peine débarqué dans la capitale. Je songeais que je devais avoir l’air passablement emprunté pour donner lieu à pareille méprise, à moins que dans l’esprit de tout Maraisien confirmé nouvelle tête ne rime forcément avec fleur de Province.

Désœuvré, il m’arrivait quelquefois de rentrer Boulevard d’Exelmans pour m’y coucher dans le lit de papa ou, bien que les draps sortissent de la blanchisserie, il me semblait retrouver cette paisible odeur de tilleuls et de lavandes dont il berçait mon enfance.
Habitué depuis toujours aux absences répétées de papa, celles-ci me devenaient de plus en plus cruelles à mesure que je grandissais, comme si à l’éloignement géographique s’ajoutait une très pudique distance masculine contrariant ces moments de tendresses que je goutais avec une voracité de nouveau né lorsque mon papa chéri m’autorisait à redevenir un tout petit garçon.

A quinze ans, déjà plus grand que lui, je comprenais très bien qu’il trouvât ridicule et sans doute inconfortable que je me blottisse, assis sur ses genoux, dans l’encorbellement de ses bras, cependant il arrivait que ma nature anxieuse et certainement un peu paranoïaque, me fasse prendre ce déni de câlins pour un mystérieux et fatal attiédissement de l’amour absolu qu’il n’avait cessé de me prouver. Et la compagnie des hommes, des autres hommes, ne changerait rien à l’affaire puisque je ne prenais pas prétexte des liens intenses m’unissant à papa pour trouver une justification à une homosexualité qui à mon sens s’en passait très bien.


Sans doute craignais je aussi de lui avouer, non ma pédéséxxualité, laquelle, du reste n’ayant rien de criminelle ne s’avoue pas plus qu’elle ne se confesse, mais, puisque j’étais déterminé à ne rien lui cacher, ma liaison, passée depuis peu en mode vicelard, avec un homme de quinze ans mon ainé, plus riche que Crésus bien que jouant volontiers les crève-la-faim et pédophile notoire.


J’admis à cet instant, alors que je m’apprêtais à m’endormir dans les draps de papa, qu’il me faudrait encore bien du temps avant de me changer en parfaite « Mauvaise . Graine », et plus de temps encore pour parvenir à ce que cette « Mauvaise . Graine » pacifie enfin avec Vania.

 

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