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  • " Lettre d'amour en agonie."

    zStef-Serre-Che.jpgJ’ai rêvé de toi, dans ce qui sera probablement mon premier et dernier sommeil jusqu’à demain.

     


    Mon homme sacrifié.


    J'ai rêvé de toi, et comme d'habitude je ne voyais que tes yeux, aussi durs que des silex prêts à m’enflammer.

    J'entendais ta voix toute en nerfs, dérocher un cœur que d’un mot, d’un simple et sec mot, tu savais étriller comme on polit un gemme pour en ôter la patine.

    Je n'avais pas mal.

    Je connaissais la fin de l'histoire ; je savais que jamais je n'en finirai de débouler ce Golgotha de pierres noires au pied duquel tu ne cessais de me jeter.

    Mon homme martyrisé.


    Et ta voix au fond de mon sommeil dont l'accent musical ne dissimulait pas l‘amertume, me disait :


    « -Je n'arrive plus à te choper entre deux défonces ; c'est d'alcool et de coke dont tu as besoin pas de moi.»


    Je me suis réveillé moite et opprimé; cherchant dans le lit à mes cotés un corps à enlacer.

    Chris, n'importe qui ! Je n'ai trouvé que la fraicheur des draps d'ou montait un parfum familier.


    Foutue vérole; pourquoi faut il encore que tu m'embêtes ?

    Ne peux-tu achever de pourrir au fond du marécage ou je t'ai moi même couché ?

    Pourquoi surgis tu superbe et vengeur là ou je ne t'attends plus, paré de l'armure d'argent de Saint Michel, ta tête d'archange couronnée d'épines d'or d'ou dégoute le sang de mes mains ?


    Et ton visage que je cherche au fond de ma mémoire sans jamais le trouver ; ou alors si abimé, si chanci que je ne le reconnais plus.


    Est-ce un hasard si la seule photographie que je garde de toi te montre en combinaison de ski et bonnet ridicule au pied du Prorel à Briançon?

    Si je la regarde souvent cette photo, c’est parce qu'elle est la dernière sur laquelle tu portes encore au visage, cet air d’innocence, cet air d’insouciance, cet air de jeunesse enfin, de ceux qui croient aux rimes pauvres.


    Amour, Toujours.


    Les autres clichés montrent l'apparition de la lèpre qui peu à peu ronge tes joues, moisit tes lèvres, éteint tes yeux en escarboucles; le long pourrissement de tes illusions ; le chemin de croix vers la haine et l'oubli des serments.


    J'ai encore parfois de tes nouvelles ; de loin en loin.

    Les tapettes, toujours charitables ne me ménagent aucun détail.


    « - J'étais à Marseille, le week-end dernier. J’ai rencontré ton ex au « Cancan ». Il est superbe. Jamais je ne l'ai vu aussi épanoui, ça doit être le bonheur ! Bizarrement, il ne m'a pas demandé de tes nouvelles. Que veux tu un amour chasse l’autre. »


    Mais que m'importe ton bonheur si tu ne le tiens pas de mes mains d’illusionnistes; toi qui m'aimait tellement que tu pleurais au gâchis de ces années ou nous ne nous connaissions pas; toi qui disais " mon cœur " même lorsque tu pensais à mon corps; toi cet agneau changé en loup par la grâce de mes incantations; toi qui me pendis au gibet même que je te destinais.


    Etrangement, tu n’as jamais été plus présent dans ma vie que depuis que tu en es sorti.

    J'ai conservé comme des trophées, comme des reliques les quelques objets que tu as oublié dans ta fuite en avant.

    Une paire de Creeks déformée à force d’être portée mais que tu ne pouvais te résoudre à jeter puisque je te l’avais offerte; un tee shift des Chicago Bulls acheté dans Tribèca au sortir d'un Delicatessen ou une noire à chicots nous avait dit la mauvaise aventure dans un sabir vaudou semblable à un anathème; un CD d'Ute Lemper ironiquement intitulé "Crimes of the heart", une  première édition  de " Belle du Seigneur ", ce pavé d'amour fou dont jamais tu n'avais voulu connaitre la fin.


    Jusqu'a mon deuil que je parfume à l'eau de " Toi "; une essence étrange et étrangère de fleurs blanches, de cédrat confit, de mousse verte, de poivre rouge; un puissant concentré de mélancolie dont je vaporise mes draps et mes oreillers.


    Pour être un peu moins seul.
    Pour être on peu plus triste.


    Sais tu qu’au temps de nos folies, pas un jour ne se passait sans que j'évoque avec terreur le moment ou nous cesserions de nous aimer?

    Je me rassurais du mieux que je pouvais en songeant que je me lasserais le premier, puisque de nous deux j'étais le futile, le volage, le volatil ; toi le concret, le terrien ; " le paysan " disait on dans ton dos, sur un ton de négligence enjouée qui cherchait à t'épingler tout en évitant de me blesser.

    J'avais le cœur et les poches percées, les mains d'un Christ au tombeau. A peine avais je obtenu ce que je convoitais que, déjà, je n'en voulais plus.

    Le désir me comblait d'avantage que la possession. Je donnais tout, je jetais tout, je ne m'attachais à rien de matériel, je ne m'économisais jamais dans quelque domaine que ce soit.

    Toi au contraire, tu engrangeais, tu thésaurisais, tu mettais en banque.

    Il me semblait que mon amour était un silo fêlé dont le grain s'écoulait lentement alors que tes greniers craquaient de tout leur bois, tant tu les avais emplis en prévision des jours difficiles.
    Et puis non, comme d’habitude, j'avais tout faux.


    Zéro pointé vers l’infini.


    Sait on jamais le jour et l'heure des adieux qui sonnent comme des au revoir, du dernier regard filant comme une truite argentée dans le tumulte d'un torrent, du dernier mot que l’on n’écoute pas; du dernier baiser que l'on ne goute pas?


    Tu partais quelques jours dans le midi visiter tes parents. Ta valise à tes pieds, tu m’as embrassé. Un baiser semblable à tous ceux que nous avions échangés, aussi nombreux qu'un peuple de colombes. Je t'ai rendu ce baiser sans y penser ou en pensant à autre chose ; à la légèreté estivale du petit matin, à cette semaine sans toi ou j'en profiterais pour ne rien faire de contraignant ni d'ennuyeux ; au poker que j'avais organisé pour le soir même, en cachette puisque tu détestais me voir jouer, aux cadors que j'y avais conviés, lesquels donneraient à la partie des allures Russes et mortelles.


    Notre dernier baiser, mon pauvre amour, ma flétrissure, résonne encore en moi de l'écho désespère d'un brelan contré par un full.


    Tu a passé ce seuil que tu ne franchirais plus jamais, les épaules un peu voutées mais le pas décidé.

    J'aimerais pouvoir écrire que tu t'es retourné pour caresser du regard et moi et le décor de nos années de passion, mais non, tu t'es épargné cette cruauté inutile.

    La porte s'est refermée sur mon bonheur avec un petit bruit métallique.


    Ta lettre est arrivée quelques jours plus tard, très triste et très marrante, à mon image plus qu'à la tienne.

    Je ne l'ai pas lue jusqu'au bout ; je la connaissais d'avance par cœur. A croire que je t'en avais dicté le moindre mot.


    J'ai éprouvé sur le moment un soulagement un peu lâche, un peu bête.

    Le film était terminé, la salle se rallumait, la vie reprenait ses droits.

    Je ne monterais plus nos escaliers la peur au ventre en me disant que si tu étais à la maison nous allions encore nous battre pour des broutilles ; que si tu n'y étais pas j'allais me ronger les sangs à échafauder des scénarios catastrophes qui te montreraient dans les bras d'un amant.


    Je savais, bien sur, que tu voyais quelqu'un depuis un moment. Tu ne me l'avais d'ailleurs pas caché, devant mon obstination à traquer des indices de roman policier dans la moindre de tes attitudes.

    Du reste je l'avais deviné avant que tu ne le réalise toi même que celui ci ne serait pas une passade de quelques nuits.

    Il y a des choses que l'on sait d'avance parce qu’elles sont inscrites de toute éternité dans les étoiles du ciel comme dans la poudre des déserts; ainsi la certitude irraisonnable, irraisonnée que cet homme là, que je ne connaissais pas, dont j'ignorais et le prénom et le visage, t'arracherais à moi.
    Mais au fond, on ne meurt pas d'un cœur qui fane. Tu étais parti, grand bien me fasse. J'avais vingt cinq ans, un corps ferme et sain, les yeux du diable et les dents du bonheur.

    L'avenir souriait à travers mes sanglots.

    Très vite, trop vite, j'ai connu un autre garçon; plus beau que toi, plus brillant infiniment ; un garçon qui me convenais d'avantage puisqu'il me ressemblait. Il eut le mérite de m'aimer et le courage de me quitter au mobile qu'il n'était pas fait pour les ménages à trois et " téléphone-moi lorsque tu l'auras oublié ».


    J'ose espérer qu'il s'est lassé d’attendre.


    C'est alors que j'ai reçu le fameux « coup de buche dans une embuche », méchant, vicieux, à me mettre à genoux, les paumes au sol, un grand cri au ventre.

    Je t'ai cherché partout, ne t'ai trouvé nulle part.

    Tu étais sorti de ma vie par effraction pour n'y plus revenir.

    Tu coulais des jours, sans doute heureux, ailleurs, loin.

    Je t'avais perdu.


    J'ai continué à faire semblant, par habitude.


    On met un pied devant l’autre, on s'aperçoit, incrédule, que l'on avance; on rit trop haut, on parle trop fort, on embrasse qui l'on veut .On se montre gentil par je ne sais quelle ironie qui veut que plus l'on souffre plus le cœur soit bon. On jure que l'on aimera encore, demain, tout de suite, le premier qui passe, qu'il vous plaise ou non .On ne trompe personne.

    L'enveloppe est toujours belle, colorée, attrayante, mais sous un teint de soleil, l'hiver sévit.
    D’ailleurs, ce n'est pas un hiver que cachent mes oripeaux d'aimable noctambule, mais la plus délabrée des ruines.


    Qui donc a écrit " Il existe de beaux hivers, jamais de belles ruines " ?

    Et puis, il y a les souvenirs que l'on déterre à coups de pelle furieux comme on cherche un trésor. Eux aussi ont morflés les souvenirs, leurs teintes vives ont passées, certains se sont carrément effacés.


    Tu te souviens, toi, de la dernière fois que nous avons fait l'amour ?
    Est ce que tu savais, toi, que c'était la dernière fois ?


    Je ne me rappelle plus, je ne me rappelle pas.


    T'ais je aimé avec ferveur comme on étreint un corps mourant ou avec la légèreté insoucieuse de l'habitude ?


    Etait ce le jour, était ce la nuit, dans notre lit pendant un orage; dans les escaliers le dos meurtri par l’arrête des marches, au creux d'un vallon planté d'églantiers ?

    Avons nous rit, ensuite, pantelants et trempés ou avons nous cognés nos fronts, accolés nos visages, croisés nos regards avec cette fureur presque religieuse qui nous blessait parfois ?


    Je ne me rappelle plus, je ne me rappelle pas.


    Le plus difficile est de me dire que je te reverrais peut être un jour.

    J'évite la P.A.C.A, et si d'aventure je me vois obligé de m'y rendre, je tremble à l'idée qu'un hasard bête de la vie nous fasse nous croiser.

    J'ai peur de te revoir, de te trouver changé, embourgeoisé, repu, bouffi d'un bonheur tranquille et sans histoires, embaumé par ta réussite sociale, veule et enfin laid. J'ai peur des regrets.

    J'ai peur de devoir me dire que je me suis détruit pour toi et que ça n'en valait pas la peine.


    Moi je n'ai pas changé ou si peu. La futilité protège des outrages du temps. Je vais, adolescent, superficiel et léger et tant pis si depuis toi, je n'ai jamais aimé que toi.

    Lara Fabian: " Pas sans toi"


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