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rimbaud

  • " Notre plaisir n'est pas celui de tout le monde."

    zzzzzzzzzvania-by-gert-02.jpgJe ne sais pas s’il est facile d’être père. Je suppose que non, même si à en croire le mien, ses paternités représentèrent les plus aimables aventures de sa vie.


    Je crains, hélas, que papa ne confonde facilité avec agrément.

    Qu'il prenne du plaisir à son rôle de père dans nos moments d'affection, de complicité rigolarde, ou lorsque je m'avise de lui demander conseil, je veux bien le croire ,par contre j’imagine la tâche terriblement complexe au quotidien .


    Et harassante.


    Grace au ciel, papa ne manque ni de courage ni d’abnégation. Tout autre que lui m’eut noyé, sinon à la naissance, du moins dés mes premières paroles intelligibles.
    J’ignore, à ce propos, quels furent mes premiers mots, mais face à l’épidémie d’amnésie frappant mes proches lorsque j’évoque le sujet, il me semble qu’ « Enculé » ou « Salope » entrent dans l’ordre du probable. A moins qu’il ne s’agisse d’un « Je veux ! » raide de majesté, suivi d’une colère tout aussi Impériale.

    En revanche, bien que je sois loin de posséder les qualités qu’il me prête et d’atteindre les ambitions que pour moi il caresse, être le fils de cet Homme me comble d'une immense fierté , d'un bonheur sans égal .

    Nous étions pourtant bien mal partis.

    Je suis né de parents tous les deux très "connus" avant que d'être adultes. Lui, parce que l'audace de son œil, qui si bien déshabillait les femmes dedans leurs vêtements, imposait aux veules petits vendeurs de vanités, une représentation des modes dont le mouvement net et précipité touchait à cette agitation un peu trublionne que célébrait l'époque, elle parce qu’aimant les hommes d’un appétit égal, n’en préférait aucun et se donnait à tous.

    "L'Artiste et la Salope", La Fontaine eut pût écrire cette fable si elle n'avait été dénuée de morale.


    L'Artiste brillait dans les studios-photo, La Salope rutilait dans les boudoirs miroirs. L’Artiste prenait soin d'exalter sa beauté cosaque d’un chic bohème dont il inventait le genre avec bonheur, la Salope n’était jamais plus belle que nue.

    L'Artiste photographia la Salope par hasard, un matin qu'elle traversait un jardin ou des fleurs aux longs cous ployaient leurs têtes poudrées comme dans une révérence. le corps à l’indolence sous le madras Lila d’une robe impudique, les cheveux défaits coulant l'or brun de leurs boucles brouillonnes contre l’ovale oriental d’un visage que dévorait un sourire de louve, elle balançait au bout d’une main d’enfant ses petits souliers blancs.

    Le cliché, cette " Gitane aux pieds cambrés de Marquise", qu’il vendit à un grand nom du parfum apporta à l'Artiste une reconnaissance unanime, la Salope sur le cliché des tourments et du sang.


    Alors que Paris criait à Rimbaud, au géni adolescent, au miracle de l’innocence, dans l’appartement que l'Artiste partageait avec la Salope on criait à l’assassin, à l’égorgeur, a la ribaude.

    Probablement l’Artiste aurait il très vite quitté la Salope si elle ne lui avait fait le coup du polichinelle dans le tiroir caisse.

    Enfant traquenard, enfant alibi, je déboulais au pire moment comme un jeune veuf au milieu d’une noce, et si l'Artiste n’épousa la Salope qu’à l’instant où elle perdit les eaux, il eut l’élégance de m’aimer aussitôt. Je ne pense pas qu'il se soit fait violence pour autant. Cet amour qu'il n'avait pas décidé , à supposer qu'aimer se décide, lui tomba dessus comme une tuile d'un toit.


    La Salope, elle, se contenta de m’oublier du moment que je ne lui étais plus d’aucune utilité.


    Etre le rejeton d’un artiste ne constitue pas plus un crime qu’une torture. Il suffit lorsqu’on se sait dépourvu du moindre talent au dessus de la ceinture, d’emprunter d’autres voies que celles paternelles pour le vivre la fleur aux lèvres.


    Ainsi, Georges Verlaine, fils de Paul, devint chef de gare de métro. Ce qui ne l’empêcha pas de mourir à 55 ans tué par la gnole. Il faut dire que lorsqu’il était encore dans les langes, son sentimental de père l’avait violement balancé contre un mur au cours d’une dispute l’opposant à son épouse au sujet du bel Arthur.

    Heureusement pour moi, mon papa n’est ni sentimental, ni jaloux, auquel cas j’aurais fini le crane fracassé avant même de sortir de la maternité, puisque Liouba affirme avoir surpris ma mère quelques heures à peine après ma naissance occupée à caresser d’une main alanguie les biceps d’un très bel infirmier.

    Qu’elle se partageât avec autant d’altruisme laissait papa de marbre.

    « - Lorsqu’on épouse une salope, disait il, on ne s’étonne pas d’être cornard. A vrai dire, tout le temps que cette petite ne passe pas au lit est du temps perdu. Chaque homme devrait avoir au moins une fois dans sa vie la chance de coucher avec elle. Quoi que du train ou elle y va, chaque homme l’aura bientôt. »

    Ce fut sur le même ton de raillerie qu’il prit l’annonce de ma pédéséxualité.

    « - Et alors, dit il en riant, tu ne t’imagines tout de même pas que ça va te valoir la couv de « Match » ? A moins que je n'en signe la photo .Ce serait plaisant du reste ! On ferait dans le bucolique, le Virgilien, le pastoral. Le cliché en somme. A moins que tu ne préfères une version plus Rock’n Roll, Harley Davidson et blouson clouté ? Blague à part, Bébé ,capote obligatoire! Tu en trouveras autant qu'il t'en faut dans mon armoire à pharmacie. Sois tout de même assez aimable de m’en laisser deux ou trois, n’est ce pas ? Et puis pas de secousse-minute à la maison, il y a des saunas pour ça. Par contre, si tu as un boy friend, il est le bienvenu , à condition bien entendu qu'il soit joli .

    Puis, redevenu sérieux il ajouta :

    « - Tu vois mon amour, la seule chose qui m’embête dans cette affaire c’est de ne plus être le seul homme de ta vie.

    A l’once des hommes de ma vie, si papa n’est certes plus le seul, il demeurera à jamais le plus beau, le plus charmant, le plus brillant, le plus aimant et le plus aimé.

    Voir également comme il cloua le bec à sa compagne du moment, une Marilyn aussi blonde, aussi voluptueuse, aussi sotte que les gourdes ravissantes qu’interprétait, comme seule une femme intelligente peut le faire, l’originale. Car la psychopute s’indignait, non de ma sexualité, mais de la liberté, l’insolence, la franchise avec laquelle je la vivais.

    « - Mais enfin, François-Xavier, perdrais tu le Nord ? ; susurrait elle de sa voix chantilly . Non content à quinze ans de baiser avec tout le monde , pardon avec qui lui plait , ton fils se permet de parler de ses coucheries sur un ton détaché de conversation comme il parlerait du dernier Spielberg .Tu ne trouves pas ça passablement obscène ?

    « - Moins obscène en tous cas que s’il vivait sa sexualité dans la honte et dans la peur. Oh et puis tu m’agaces à la fin. Sache que notre famille a toujours vécu ses plaisirs ,quels qu’ils fussent ,comme elle l’entendait et la tête haute. Il manquait un homosexuel au tableau. Et bien voila, le mal est réparé. Béni soit V. Que veux tu, ma chère, nous sommes ainsi battis, nous autres, nous n'y pouvons rien si notre plaisir n’est pas celui de tout le monde. »