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" Brother outlaw."

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Juillet s’achevait péniblement dans des vapeurs métalliques, des fumées floconantes de bateau à aube haletant le long d’un faible bras de rivière que la mer repousse.

Harassé de chaleur je trainais mon grand cadavre bruni, pleurant de sel et de sang l’absence de Julien, dans un Porto Cervo aux allures criardes de foire aux vanités, comme les filles du calvaire pleuraient le Christ en croix.


Seul célibataire parmi des couples en état de béatitudes aggravées, je prenais en horreur l’étalage poissé de Monoï de leurs extases.

Dieu que Walter et son amoureux me semblaient niais, lorsqu’ils roucoulaient plus fort qu’un peuple de ramiers aux flèches des cathédrales, leurs têtes mesquines penchées l’une vers l’autre, l’œil rond et sot, irréfléchi, le bec tout sucré par la crème des glaces qu’ils partageaient au même cornet.

Et que dire de Sasha, rajeunie de vingt ans depuis qu’elle batifolait avec le petit fils, à peine majeur, d’un constructeur automobile Milanais dont elle tentait, mais en vain, d’ébranler la fortune dans les boutiques du Sottopiazza ?

David lui-même, se consumait pour un long lys Bavarois, sorte de croisement improbable entre une Elizabeth frappée de très germaniques mélancolies et un Ludwig délirant de baroques passions au clair d'une lune blême, dont nous nous demandions ce qu’il était bien venu chercher dans un pays ou l'ombre est plus rare que les blanches gelées des jolis matins d’hiver aux dunes du Sahara , sa carnation neigeuse craignant à tel point le soleil, qu’il passait ses jours claque muré au plus frais d’une villa forteresse .

"- Tu crois que c'est un vampire ? interrogeait, vaguement inquiète, Sasha.
" - Ca me parait évident, répliquais je. Jamais je n'ai vu David aussi mordu !

Mordue elle aussi, nous avait rejoins une chanteuse de variétés, un peu passée de mode aujourd’hui, que l’on disait sotte et creuse alors qu’elle ne l’était pas du tout, sauf ,bien sur, lorsqu’elles se mêlait d’ avoir des idées, certaines plus communes si possible que les ritournelles désenchantées qu’elle changeait en galettes d’or par la grâce d’une voix dont la rondeur sensuelle palliait au manque de puissance .

Pire encore, notre diva voyait de la conspiration partout, des paparazzis derrière chaque parasol, si bien qu’elle me refilait, dés que nous mettions le nez dehors, le paquet cadeau du sigisbée décharné aux longues boucles cuivrées, aux longs yeux languides de petit faon, aux longues conversations analphabètes, lui tenant lieu de fiancé occasionnel.

Quant à papa, moins idiot que le reste du troupeau, il s’était tiré en mer à bord d’un 18 mètres moteur loué au prix d’un appartement avenue Georges-Mandel, avec pour seul équipage "Belle-maman", ma « sœur-à-moitié » et l'espoir secret, hélas déçu, de noyer les deux emmerdeuses entre Naples et Capri.


Julien, de son coté, séjournais à Ajaccio chez ses parents .

S’il avait bien prévu de me laisser l’y rejoindre, il entendait au préalable, préparer son monde à l’onde de choc que ne manquerait pas de provoquer dans la cité Impériale la venue d’une tapette Parisienne au vocabulaire de carabin et aux manières de fille perdue.

« - Tu comprends, mon amour, m’expliquait il trois fois par jour au téléphone, chez moi l’homosexualité n’est pas tellement bien vue. En ce qui me concerne, chacun « sait », mais ils font comme si de rien n’était. Sujet tabou, politique de l’autruche. « -Mais comment se fait il qu’un beau garçon comme Julien, gnagnagna, n’ait pas de copine ? » ; « -Oh vous le connaissez, Julien, il est tellement timide et tellement discret. ». Timide, mes couilles ! Condamné au placard jusqu’à la carte vermeille, oui ! Je pourrais bien sur, te faire passer pour un copain de fac ou un collègue de bureau, mais ça ne marcherait pas. D’abord parce que tu es trop jeune pour le rôle, et puis rien que la manière dont nous nous regardons est un aveu. Mes parents encore, je pense qu’ils sont prêt à accepter un homme dans ma vie du moment qu’il s’agit d’un homme bien ! Non, le problème c’est mon grand frère ! »

Putain de frangin, parlons en du putain de frangin !

Un gosse de bourges retourné à la terre pour y exhumer les racines agro-pastorales d’une famille qui n’avait jamais officié que dans les lettres et la magistrature.

Un berger diplômé d’un institut supérieur d’agriculture, bien qu’il se la jouât volontiers autodidacte et homme des bois.

Un égorgeur d’agneaux, un éventreur de porcs, un tueur de marcassins et de colombes.

Un fabricant de fromages et de vins résinés des montagnes, toujours vêtu de treillis ou de bleus de chauffe, fleurant, du moins l’imaginais je, le lait aigre et la piquette tournée.


Un militant Nationaliste convaincu, pour lequel tout ce qui n'était pas Corse et attaché aux traditions ancestrales de l’île - à fortiori les pédés; puisque de toute évidence un véritable Corse ne saurait donner dans l'inversion- devait être immédiatement et sans procès, brulé vif en place publique.

Bref, un cauchemar vivant, mais un cauchemar que Julien vénérait.

Un mot de travers au sujet de l’idole et il se fermait comme une clef d’arc scelle une voute.

« - Parle pas comme ça de mon frère ! »

A force de ne pas en parler « comme ça », je n’en parlais plus du tout, laissant à « Beau. Masque » le soin de composer avec son insupportable famille, tandis que je m’étiolais dans un paradis perdu ou la beauté sculptée des Adams moulés dans leurs petits maillots « Roberto Cavalli » laissait indifférents des yeux qui ne voyaient plus rien de ce qui n’était pas Julien.

Du reste, à la plage je n’y allais plus, non par crainte de succomber à des excès de virilité dénudée, mais plus prosaïquement, parce que mon fichu téléphone ne captait pas de réseau dans la crique de Cala di Volpe ou nous avions établis campement et que je redoutais de louper l’appel qui m’aurais fait quitter l’ile dans la minute.


Je ne mangeais plus et je buvais trop. Je ne sortais pas, ne dormais pas, je fumais comme une cheminée d’usine.

Je passais mes nuits à affronter la chanteuse et son copain en de furieuses parties de poker, ce terrible jeu de stratégie et de mort. Le somptueux désastre de ma vie sentimentale me valait de bénéficier de mains princières.

Au petit matin, plumés jusqu’à l’os mes pigeons allaient se coucher.
Sur ses entrefaites, comme prévenue par un signal secret, arrivait, bougonne et peu amène la dame chargée de l’entretien de la maison.

« -Pas encore couché ? C’est du joli !


Elle me regardait longuement, pensive et peut être apitoyée.

« -Mais comment tu fais pour vivre à l’envers de tout de le monde ?

Je répondais que je ne savais pas, que je m en foutais, que je ne voulais surtout pas être comme tout le monde et c’était à peine si je mentais.

Désœuvré, je déambulais dans l’enfilade de salons qui composaient le rez de chaussée, ouvrais des livres dont je relisais inlassablement et sans m'en souvenir toujours les mêmes trois ou quatre premières pages.

La matinée avançait lumineuse et tropicale.

J’appelais Sandra qui m’engueulait.
J’appelais « La Miss » qui me battait froid.
J’appelais mon père qui me cajolait.

Je rejoignais enfin ma chambre dont le balcon donnait sur la mer. J’apercevais les premiers baigneurs éclaboussés d'azur.

De jeunes Sardes aux mèches noires piquées d'or, à la peau boucanée, aux longs muscles agiles, jouaient à se battre pour de faux, à s enlacer pour de vrai. Leurs cris d enfants se mêlaient au fracas des vagues.

« - Lâche-moi, oh pèdè !

Et j’attendais que sonne un téléphone qui au fil des jours sonnait de moins en moins souvent.

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