Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

" Le jour, la nuit et les autres nuits."

zzzzzzzzzzzzzzzzz-art-00000.jpgMon père s’est remarié l’année de mes seize ans, non sans avoir au préalable, en parfait homme du monde, sollicité mon consentement .

 


Consentement que je mis, du reste, beau temps à lui accorder tant l’irruption d’une tierce personne dans le couple fusionnel que nous formions depuis le départ de ma mère me semblait halogène, barbare, contre nature.
 

Nous parlâmes beaucoup, nous parlâmes longtemps, mon père arguant que puisqu’à présent j’avais un semblant de vie amoureuse, je pouvais admettre qu’il en ait une à son tour : que l’amour qu’il portait à cette personne blonde et glacéé n’enlevait rien à celui qu’il me vouait, bref soulevant tout un tas d’arguments, forcément sensés, que j’écoutais d’une oreille distraite tout en évaluant mentalement à quel prix je pourrais raisonnablement négocier l’abandon de mon droit de véto.


Au terme de transactions que le plus pingre des usuriers eut trouvées mesquines, nous convînmes que je ferais bonne figure à ma future belle mère aux conditions expresses que l’on me laissât libre de sortir la nuit; quand bon me semblerait, doté, de surcroit, des subsides nécessaires à un train de vie qui me paraissait me revenir de droit divin.


Mon père est un homme délicieux, un érudit, un artiste, un rêveur et vous l’aurez compris un grand naïf.

 A dix ans je quintuplais le montant de mon argent de poche en le battant régulièrement au poker; c’est vous dire à quel point il se complaisait dans un idéal étranger à toute réalité tangible.

Dans le clair obscur de sa fantaisie, le monde de la nuit, auquel il me donnait plein accès, avait le velouté, la douceur, l’onctuosité d’un chocolat chaud.


Je sais à présent, la trentaine et peut être la sagesse venues (j’entends ici les hyènes ricaner !), que naïf il ne l’était pas tant que cela. Simplement, il m’aimait suffisamment pour m'autoriser à commettre mes propres erreurs ; tout en sachant, quoi qu'il puisse arriver, qu'il serait toujours là pour me rattraper au bord des précipices.

 


Tout cela pour vous expliquer que j’ai pris l’habitude de sortir très jeune et que, bien entendu, j’ai accumulées les conneries avec la parfaite régularité d’un métronome.
 

Stupide, j’aimais à me prendre pour une sorte d acteur de vaudeville dont l’emploi eut été le gandin.
Lucide néanmoins, je savais que je n'étais, en somme, qu’un rutilant piège à cons.
 

J'étais beau, je pense. En tous cas on me courtisait.

Mais courtisé, ne l'est on pas toujours lorsqu'on a seize ans et qu'on manque de sérieux ?
Chaque soir, à l’heure ou la ville mourait, a l'heure où la lune flambait, à l’heure où les folles se fardaient, j’abandonnais ma défroque ordinaire pour revêtir l'habit de lumière, le costume du matador.

 
Les nuits Parisiennes étaient mon théâtre.


Ce théâtre, je l’investissais à la hussarde.
Je jouais large, je jouais ample, je jouais l'aisance et l audace; chaleureux, perceptif et sexy comme une pub pour des cigarettes Américaines.

« Try a différent flavour »


Le contraire en somme de ce que j’étais dans la vraie vie ou l’on me regardait comme une épure, un effrayant monolithe.

J’ignorais d’ ou cela venait ni ou cela m'entrainerait, mais la plupart des gens m'estimaient incapable d'éprouver des émotions autrement qu’en une dérive immobile ; sans qu’elles ne m’affectent réellement. Sous mes néons de couleurs, en revanche, je déplaçais du vent, je semais des paillettes, je faisais du bruit et illusion, capturant mes victimes à mon grand rire avide, au feu de mes yeux lasers, qui les fusillaient à blanc, qui les fusillaient en bleu horizon.

 


Mon infernale exigence me commandant d'aller toujours plus loin dans la surenchère, je forçais le trait jusqu’à m’extraire de moi même.

Je me voyais alors comme si j'étais doté d un troisième œil ; plutôt je le voyais lui, « Mauvaise. Graine », qui existait de manière autonome tel un exorcisme ou une libération.

Toute mon énergie nourrissait ce monstre, bouleversant d’ubiquité, et il m'arrivait parfois de me sentir bon pour la camisole. Mais, si les contraintes, ce bain de regards faussés, forcément faussés, dans lequel je m'ébattais soir après soir, étaient pénibles, le jeu en lui même me grisait avec la puissance d un alcool fort.

J’éprouvais l'ivresse d'être exactement dans le rythme de la fête ; de faire corps avec elle, d’investir miraculeusement l’œil du cyclone, le cœur du maelstrom.


Je décrochais alors, je décollais, je voyageais long distance au sein d une dimension physique, organique, intime.

 


Et puis lorsque la sono se taisait, lorsqu’une à une les lampes se rallumaient, j'atterrissais toujours un peu en catastrophe, la tête tournée par mes sauts d'archange émerveillé.


On est forcement déçu lorsqu’on est exigeant. On veut donner beaucoup pour recevoir beaucoup mais on ne trouve jamais dans cet échange que ce qu’on y a mis et parfois moins, comme s’il y avait eut évaporation.

 


Très vite, je compris que le monde de la nuit n’était qu’une échappatoire. Je me promis de ne pas y faire de vieux os. Je passerai une saison en enfer, voire deux par gourmandise, mais la gourmandise tourna à la gloutonnerie et les mâchoires du piège se refermèrent sur moi. J’aimais bien mon personnage de « Mauvaise. Graine » et les nuits vieillissaient.


Aujourd’hui encore il m’est plus facile de me définir comme « Mauvaise. Graine » que comme V.V.S.M.

Momifié au sein d un milieu qui, pourtant, n’est pas le mien, je n existe plus que par référence.

Le commerce du symbole marche encore très bien, sans doute l’avez vous remarqué. Il suffit de coiffer une couronne, de se fabriquer un masque plaisant, pour paraitre et tant pis si on oublie de projeter son être dans ce paraitre. On vie alors prisonnier d’une image fortement enluminée mais totalement désincarnée comme les vedettes du cinéma ou les demoiselles du rocher. On ne se reconnait plus.


Alors on tente une nouvelle sortie d autoroute et évidement on loupe l’échangeur.

 

Les commentaires sont fermés.