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toulon

  • " L'adieu au guerrier."

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    J’étais à peine majeur lorsque je rencontrai le garçon pour lequel je commis ma première folie amoureuse.


    Nous l’appelleront « Le Pacha » puisqu’il répondait au grade de quartier maitre dans la marine nationale.


    Le terme de « Pacha » dans l’argot des marins désigne le commandant d’un navire. Or commandant de navire, il l’était comme moi danseuse nue au « Crazy Horse ». Cependant ce surnom me semblait parfaitement convenir à sa nature dolente comme à son gout prononcé pour la plus parfaite oisiveté ; je l’aimais en tous cas beaucoup plus que celui officiel de « Crabe » qu’il devait aux chevrons rouges de son insigne de grade rappelant les pinces d’un crustacé.


    Nous nous rencontrâmes au « Queen » ; un Dimanche si je me souviens bien ; aux temps bénis ou pour accéder à ce saint des saints nous classant définitivement parmi les gens « in » , nous acceptions , de bonne grâce, d’être traités comme les voyageurs du métro New Yorkais , un Vendredi soir veille de fête , à l’heure ou des milliers de bureaux vomissent dans la rue des centaines de milliers d’employés , ou certains , moins jeunes , moins jolis ou moins rusés que nous ne l’étions , payaient à prix d’or des consommations que les serveurs , distraits , leur apportaient ou non selon leur humeur .

    La nuit largement entamée, j’étais saoul à ne plus savoir comment je m’appelais ; mais pas au point de laisser échapper cet immense gaillard, les cheveux taillés ras ; la mâchoire carrée ; les yeux légèrement fendus en oblique d’un bleu intense et liquide dans lequel on aurait aimé nager vers la promesse d’une ile.


    Vêtu d’un pantalon à pinces de toile noire comme on en faisait plus depuis 1982, d’une sage chemisette blanche boutonnée jusqu’au col, il dansait gauchement parmi les folles à boas et les athlètes en strings, indifférent aux mouvements de la foule comme au rythme de la musique.


    Je le trouvais emprunté, maladroit, provincial ; bref terriblement attendrissant.

    « - On dirait Balloo du « Livre de la Jungle » ; se moqua David à mon oreille.


    Je lui assénais une petite tape amicale sur la joue.


    « - Dans ce cas, je veux bien être son Mowgli.
    « - En plus, tu as vu la touche ? Je te parie qu’il est hétéro ! objecta mon empêcheur de draguer tranquille.


    J’esquissais un sourire que je voulais insolent.
    « - Raison de plus !

    Hétéro, il ne l’était manifestement pas, puisque trente secondes plus tard, après avoir feints de trébucher contre sa large poitrine (« Pardon, je suis un peu saoul ») je titillais de ma langue le fond de sa gorge sans qu’il songeât à me flanquer l’avoinée que mon impertinence méritait.

    A la fermeture, nous l’embarquâmes ; sans nous soucier de lui demander son avis, ni de savoir s’il était accompagné ou non ; chez David, dont le père, producteur de cinéma, absent pour cause de tournage Africain ne risquait pas de venir troubler nos turpitudes : autrement dit dans l’appartement mitoyen de celui ou mon propre géniteur et son épouse feignaient d’ignorer les bacchanales orchestrées de l’autre coté de la cloison.

    Tandis que nos pseudos amis s’achevaient gaillardement à coups de shoots de Téquila et de rails de coke, « le Pacha » et « Mauvaise. Graine » s’enfermèrent à double tour dans la chambre d’amis ou, bien entendu, ils jouèrent à la bataille navale jusqu’au lendemain matin.

    Quoi qu’il en soit, quant à des raisons suffisamment évidentes pour que je m’abstienne de les énumérer ici, il ne me fallut pas mille ans avant de me découvrir amoureux dans toute la splendide inconscience, la merveilleuse voracité de mes dix huit ans.

    « Le Pacha » brulant des mêmes feux, s’en suivirent six jours de folle passion, passés essentiellement à faire l’amour avant que le glas d’un départ annoncé ne vienne tempérer nos priapiques ardeurs.

    Je vous épargnerais la litanie des « ne me quitte pas » et autres « mais je ne pourrai jamais vivre sans toi » que nous déroulâmes à plaisir telle la bobine d’un mélo-raclette ; nos adieux déchirants sur un quai de gare , ma course éperdue dans le sillage de ce train qui emportait mon amour vers Toulon, sachez simplement que si un jour on tire un film de cette histoire il faudra impérativement vendre des kleenex pendant la projection sous peine de voir la salle noyée avant la fin du premier quart d’heure.


    S’en suivirent deux semaines de correspondance tragique, de coups de fil désespérés, avant que je ne me décide, ma vie m’étant devenue intenable, Paris haïssable, à tout plaquer pour rejoindre mon homme aux rives de la plus belle des mers du monde.


    Mon Saint homme de père tomba des nues lorsque je lui annonçais ma décision.


    « -Tu es saoul ? Drogué ? Malade ? Tu me fais un poisson d’Avril au mois de Mars ?


    Je le rassurais aussitôt : jamais je n’avais été plus sérieux.

    « -Et de quoi comptes tu vivre à Toulon ?


    J’objectais que je trouverais un job. Après tout travailler ne devait pas être bien terrible puisque plein de gens s'y risquaient.


    Ricanement du paternel.


    « - Parce que tu sais faire quelque chose de tes dix doigts ! Voilà qui est nouveau.


    En dépit de ma mauvaise foi, je convins qu’il n’avait pas tort.
    « - J’espérais que tu accepterais de m’aider financièrement.


    Pour la toute première fois mon père me dévisagea avec sévérité.


    « - Tu es majeur, je ne peux donc légalement t’empêcher de partir si tel est ton désir. Mais sache que tu fais une énorme bêtise. Tu te crois grand, tu te crois fort, tu te crois amoureux d’un garçon que tu ne connais pas, tu te crois armé pour la vie à deux et ses petites misères, vas mon fils, vie ta vie, seulement ne compte pas sur moi pour t’aider à te fourvoyer ! Et puis Toulon, franchement ! Tu n’y tiendras pas huit jours !


    J’y teins huit mois.


    Suite au refus de mon père, je m’en allais pleurnicher auprès de mes tantes, lesquelles nourries de romans roses et de films Hollywoodiens, compatirent à ma misère, acceptant même de me doter d’un joli magot aux conditions expresses que je taise leur rôle dans mon escapade et que je promette de leur téléphoner tous les jours.


    Je partis donc d’un cœur léger et retrouvais mon « Pacha » avec transports, bien décidé à gouter sans limites aux délices d’un amour conquis de si haute lutte.

    Hélas, je ne tardais pas à réaliser que si j’aimais sincèrement « Le Pacha », l’amour, l’amour avec « Le Pacha », j’aimais encore mieux mon confort et mes aises et que la passion dans 20 m2 avec chiottes sur le pallier, eau chaude uniquement entre sept et huit heures du matin, lorsqu’en plus il faut se farcir les courses, le ménage et la bouffe ; cette passion là possédait un léger gout de rance auquel mon palais de fin gourmet ne s’accoutumait pas.


    Toulon ; mon père avait raison ; et j’en demande pardon aux Toulonnais si toutefois certains d’entre eux me lisent, n’est pas une ville bien agréable, ni bien folichonne.

    Bref je m’y emmerdais à cent sous de l’heure et ce n’était pas un semblant de milieu gay -composé pour l’essentiel d’un bar, « Le Texas », lui plutôt sympathique ; d’un resto dont par charité Chrétienne je tairais le nom et d’une boite, « Le boy z Paradise », ou des travelos de l’âge de ma grand-mère se produisaient sur des chansons d’Annie Cordy - qui risquait d’enjoliver mes humeurs maussades.

    Mon orgueil m’interdisant toute marche arrière je rongeais mon frein jusqu’à ce que « Le Pacha » ne vienne m’annoncer, le teint cendreux et l’œil humide, qu’il embarquait à destination de Djibouti pour une escale de six mois.


    Je ne me souviens pas de ce que je ressentis à ce moment précis ; sans doute un lâche soulagement ; mais voici ce que je notais dans mon journal intime à la date de son départ :

    « Il s’en va.
    Il part sur la mer indigo à bord d’un navire blanc fierté de notre marine Nationale.
    Il ne reviendra pas avant de longs mois.
    Destination Djibouti.
    J’ai regardé dans un Atlas ou ça se trouvait.
    C’est loin, très loin …….
    « Le Pacha » pleurait tandis qu’il me serrait à me briser contre son grand corps massif.
    Il disait des bêtises, il disait des guimauves.
    Il disait qu’il avait peur. Il ne savait pas de quoi. Il ne savait pas pourquoi.
    Il voulait me faire l’amour, encore une fois, avant de me dire adieu.
    Je l’ai trouvé laid comme un homme qu’on aime plus.
    « - Tu m’attendras, suppliait il, tu ne me tromperas pas !
    J’ai promis tout ce qu’il a voulu, mais in petto je me disais « Pars tranquille, mon grand, je n’ai jamais autant envie de te tromper que lorsque tu es là. »

    Le bâtiment emportant « Le Pacha » n'avait pas quitté la rade Toulonnaise que déjà j’embarquais pour Paris ou mon père me reçu sans un commentaire, sans un reproche.


    "Le pacha" m'écrivit des mois durant sans même que je daigne ouvrir ses lettres.


    Puis il téléphona.


    Je lui fis répondre que j'étais décédé dans la paix du Christ Roi.


    Parfois, il me plait à imaginer qu'il espère encore ma résurrection.


    En revanche au cours des semaines qui suivirent je refusais systématiquement de sortir avec tout garçon qui habitat à plus d'un jet de pierre de mon XVIème natal.