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  • " L'embarquement pour Cythère."

    zvania-pensieri.jpg Je retournerais en Corse, tout à l’heure, au printemps.

    Dés que les journées seront molles et blanches comme du bronze que l’on brûle aux fourneaux des fonderies, les clartés du ciel à l’espérance, les vagues échouées contre les flancs des Sanguinaires doucement tiédies par le souffle de lave d’un volcan englouti; en regain, les bourgeons poreux comme des sexes aux bois fendus des vergers Balanins;  j’y retournerais ainsi que chaque année depuis plus de dix années, pour deux petits jours ou pour une grande semaine si on m’en laisse le loisir.

    Je mettrais mes pas dans la poussière de nos pas, Julien.

    Seul.

    Je n’irais pas en naufrage, triste et laid, accablé, au cimetière marin des amours mortes cueillir de mes mains nues ces orties blanches et qui ne me mordent plus de leurs acres dents vertes depuis que j’aime ailleurs.

    J’irais au contraire, souriant et libre, badaulant par des sentiers vifs ou fleurit, rose et émue , l’aubépine , la bruyère dont le ventre sec donne de jeunes pousses violettes mais pas de fruits, le Ciste aux vivaces ombrelles insouciantes et l’asphodèle en champs de chandeliers d'argent, j’irais embrasser la beauté du monde là ou elle est la plus belle, comme j’embrasse la beauté des hommes à l’endroit ou elle est nue, violente et charnue.

    De la Corse avant Julien, je ne connaissais que ce que les mauvais journaux en disent.

    Je la pensais hostile, dangereuse, aride, peuplée d’assassins errant dans des déserts de ronces et de femmes affligées, pleurant des cris de haine sous les pointes tragiques de leurs foulards de deuil, tandis que leurs doigts de harpies égrenaient des rosaires de malédictions.


    Sans faire l’effort de comparer, nous lui préférions la Sardaigne ou plutôt ce bout de Sardaigne qui de Palau à Olbia contourne la Gallura et dont Karim Agha Khan, que les Corses du reste à qui il s’adressa en premier avaient joliment renvoyé aux rousseurs Hollywoodiennes de ses fantasmes atomiques, entendit transformer dans les années soixante, en ghetto pour milliardaires, destiné à mettre au tapis un Saint -Tropez alors en plein essor.

    Saint –Tropez, nous n’y allions plus depuis que mes tantes, Liouba, Stassia, Sasha, pour une fois soutenues par la blonde idole d’acier me tenant lieu de belle mère, trouvaient la presqu’ile trop « plouc » pour leurs bikinis griffés et les babioles de chez « Cartier », ces ludiques « bijoux-de-plages », qu’elles exhibaient tintinnabulants d’or blanc, jaune, rose à leurs chevilles serviles de premières concubines.

    A la remorque d’un ami qui y possédait une maison nous avions atterris à Porto Cervo ou nous avions pris racine, ravis d’un changement à vrai dire peu notable, puisque le village n’était que le calque Italien, ni plus ni moins élégant, d’un Saint –Trop soudain livré aux barbares.

    « - Oui, c’est vrai, ça ressemble ! Mais ici tu vois, il y a Flavioooo ! concédait Sasha en multipliant des « O » ahuris de poisson lune à la fin du prénom.

    Flavio, c’était Briatore, un ancien moniteur de ski qui donnait depuis que la fortune et les industries Benetton lui avaient sourit, dans la formule 1, le foot Britannique et la pétasse de haut vol.


    Copropriétaire du « Billionaire », complexe prétentieux au luxe tapageur ou il fallait être vu lorsqu’on séjournait sur la Costa Smeralda sous peine de renoncer à toute existence sociale décente, Flavio avec tous ses « O » était devenu l’obsession d’une Sasha pourtant plus couguar que panthère, bien décidée à ancrer ses griffes laquées de « Rouge-Jungle » au plus profond du matelas de Dollars sur lequel reposait le play-boy.


    Dire qu’elle passait ses nuits au « Billonaire » serait un doux euphémisme tant la belle peinait à regagner la maison une fois l’aube venue. Car si Flavio Hé-Ho, Hé-Ho lui préférait à l’époque les courbes d’ébène de Naomi Campbell, une pompe à fric professionnelle hautaine comme une reine de Saba dont elle possédait certes l’allure de divinité Ethiopienne et les ruses vénéneuses mais point hélas la science ni même le gout des énigmes , Sasha n’en maigrissait pas de dépit pour autant , trouvant de fort salutaires consolations entre les bras de jeunes Romains que nous soupçonnions d’avoir pollués de leurs premiers émois les pages des « fumetti » dont ma tante avait été l’héroïne.

    Quant à moi, tellement cuit de soleil que l’on me croyait métis, j'entamais des recherches passionnantes en vue d'une anthologie de la verge Italienne, si appliqué, si concentré, si âpre à la tache qu’il arrivait parfois, de retour à Paris, que mes extases Franco-françaises sonnassent en clairon dans la langue de Dante. Je vous laisse imaginez l’ahurissement de mes amants Gaulois lorsque je les insultais, les encourageais, les suppliais dans un sabir mêlé de patois Sarde, de Calabrais et d’Argot Romagnole qu’ils prenaient, mon accent Transalpin flanchant sans doute dans l’effort et le plaisir, pour de l’Espagnol ou du Portugais.

    « Je n'ai jamais rencontré d'Italiens quelconques et incolores. Ceux que j'ai connus étaient, ou très charmants, ou ratés. », Écrivait en 1928, Sibylle Gabrielle Riquetti, dite « Gyp », et dernière des Mirabeau, dans ses « Souvenirs d’une petite fille ».

    Je doute cependant que cette aimable Comtesse à la prose abondante, à la fois niaise et piquante, aujourd’hui bien oubliée, n’ait guère rencontré d’Italiens à la manière dont je les rencontrais moi-même, encore que je me garderais soigneusement de la contredire.

    Du reste si j’avais oublié et depuis longtemps les « ratés » lorsque je rencontrais Julien, ce dernier, ennemi atavique des « colons Pisans et Génois », n’eut qu’à me prendre la main pour que j’oublie aussitôt et, du moins le croyais je, sans espoir de retour en arrière, les « charmants » et même les formidables.

    Comme il lui suffit de m’entrainer sur son ile aux splendeurs pour que je tombe immédiatement, irrévocablement, tragiquement en amour de cet éperon de granit jeté par un Dieu tout ébloui de sa propre création, dans l’encorbellement pâle, incertain d’une mer ou se miraient la nuit venue, toutes bruissantes d'orages, toutes brulées de soleil ces vagues étoiles de la grande Ourse que chante le poète

    .Antoine Ciosi: «  Le Pinzutu. » 
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