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bonifacio

  • " Interlude."

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    De Bonifacio, de ses rues escarpées , grimpant roidement à l’assaut des terrasses du Roy d’Aragon, d’où on aperçoit la cote Sarde et, par temps clair, les linges de couleur mis à sécher aux balcons de Santa Teresa, de son cimetière marin dont les chapelles blanchies à la chaux semblent boire tout le feu du soleil, de son chemin de ronde bordant comme un lacet l’à pic de la falaise, de ses plages secrètes , creusées à même la roche et auxquelles on ne peut accéder autrement que par la mer, indifférent à toutes beautés dés lors qu’elles n’avaient pas les yeux éblouis et le sourire radieux de Julien, le cœur rose bonbon, l'esprit azuré, le corps à la débâcle , je ne vis pas grand-chose durant ce premier séjour.

    Etrangement je me rends compte que le bonheur, dans sa simplicité, dans son évidence, dans son monstrueux égoïsme, n'est pas facile à raconter.

    Que pourrais-je vous dire que vous ne sachiez déjà du plaisir indécent des retrouvailles, de la fièvre érotique qui l’accompagne ?


    Comment évoquer sans sacrifier à la banalité, deux jours d'errances et d’abandons entre les draps moites d'un lit immense, nos téléphones coupés ; nos familles, nos amis oubliés ?

    La redécouverte de sa peau au grain lisse et serré, du gout mordoré de sa sueur, de l'exquise musique de ses soupirs ?

    Les chuchotements, les confidences amorcées, avortées d'un baiser, les fous rires sans autre motif que le seul plaisir d'être ensemble, la bouleversante loquacité des regards ?
    Comment peindre avec des mots ce qui s’en passe si aisément, ce qui tend à aller vers l’épure, l’essentiel, au cœur même du cœur ?

    Et puis, vient l'instant ou le rêve suspend son vol, ou le dialogue s’impose, ou l'on ne peut plus se défiler.

    Nous sommes allé diner dans un charmant restaurant de la rue Doria, si tard que nous y étions pratiquement les seuls clients.


    J'ai trouvé Julien d'une beauté stupéfiante dans la lumière rousse des photophores.

    Je lui ai demandé ce qu'il fichait avec moi ; ce qui a eut le don de le mettre en rogne.
    Il m'a dit que je n'étais qu'un Narcisse à la con ; que si je cherchais des compliments je n'avais qu'à m'adresser à ma cour de tapettes énamourées plus aptes que lui même à me couvrir de fleurs.


    Puis il m'a offert une de ces déclarations d’amour dont le souvenir, parfois, suffit à remplir toute une vie.

    « -Tu ne réalise pas à quel point tu es intéressant ; tu ne réalises pas à quel point c'est passionnant de vivre avec toi au quotidien. On ne s'ennuie jamais.

    Qu’aurais je pu répondre à cela ?

    Pour la première fois, moi qui ne suis que verbiage et fleur de rhétorique, n'ai put trouver les mots adéquats.


    En revanche il me semble bien que j'avais de l'eau plein les yeux tandis que glacé d'épouvante, je comprenais que, déjà, je l'aimais moins.

  • " Tout au bout du bout du monde."

     

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    Penchée au bord de la falaise de craie blanche dont elle était le prolongement exact , agrippée à ses remparts comme pour en prévenir l’écroulement , la vielle citadelle génoise paraissait sur le point de verser dans la mer, poussée par un vent terrible soufflant ses fureurs liquides sur les bouches de Bonifacio , de l’anse de la Catena , à l'entrée du port , jusqu’ aux docks de Santa Teresa di Gallura contre lesquels elles s’échouaient avant de se disperser en multitudes de courants apaisés sur la grande plaine Sarde.

    Le vigoureux petit ferry fendait de son étrave des murs d’eau verte plus hauts que lui, souquait, crachant, craquant, brasillant d’écume, en direction d’une Marina qu’il semblait ne devoir jamais atteindre tant la force des éléments jouait contre lui.

    « - Bonif, c’est 300 jours de vent par an, me disait le jeune et jovial pêcheur de corail, rond et brun comme les châtaignes de son ile, auprès duquel j’étais assis. Et encore, aujourd’hui ça souffle à peine. D’habitude c’est bien pire ! Vous savez que les pilotes de supertankers viennent s’entrainer dans les bouches tellement les conditions météo sont difficiles ? Vous ne le saviez pas ? Hébé maintenant vous le savez ! Y a pas à dire ça instruit les voyages ! Bonif, vous verrez, c’est une ville très particulière. On n’y est plus vraiment en France mais ce n’est pas encore l’Italie. Ce n’est pas d’avantage la Corse tant ça diffère du reste de l’ile. Tenez, la roche, le calcaire, par exemple, on ne le trouve qu’ici ! Une veine de craie dans le granit. La langue aussi n’est pas la même. Nous on parle un patois issu du Ligure alors que le Corse dérive du vieux Toscan, personne ne nous comprend. On est un peu des étrangers chez nous, vous voyez ce que je veux dire ?

    Parce que je le trouvais sympathique et rigolo, je me forçais à écouter ses bavardages, dissimulant tant bien que mal derrière un sourire qui se voulait affable alors qu’il se crispait à chaque secousse du navire, ma fièvre de retrouver Julien.


    Jamais les douze malheureux kilomètres séparant la Sardaigne de la Corse ne me parurent plus longs à parcourir. Au bout du voyage il y avait le port, et sur le port il y avait mon homme, aussi malade d’impatience que je l’étais moi-même.


    « - Vous voyez le yacht, là bas devant la capitainerie, le grand qu’on dirait un Transatlantique ? Continuais mon intarissable compagnon. Hébé, figurez vous qu’il appartient à Bill Gates .Même pas il en profite ce con. Il le loue, comme s’il n’avait pas assez de monnaie comme ça. A Brad Pitt. Je vous jure, c’est vrai ! Je l’ai vu l’autre jour dans la rue Doria avec la fille qui joue dans « Friends », Rachel machin-chose. Ah il en passe de la viande célèbre chez nous. Faut dire qu’on leur fiche une paix royale. Vous ne verrez personne demander un autographe, ni même prendre une photo. Et quand les paparazzis les embêtent, hébé nous, les vautours on les bastonne histoire de leur apprendre les bonnes manières. Ma mère dit que les Corses, sont encore plus fiers que les stars d’Hollywood, que ça nous ferait mal au ventre de montrer qu’on est impressionnés par la célébrité ou le fric. Du coup les mecs- people- machin ça leur fait de vraies vacances cette indifférence. Pas comme en France ou là en face chez les « Luchesi » ! On les appelle comme ça nous les ritals, « I Luchesi », parce que les premiers envahisseurs en huit cent et quelque chose venaient de Lucques en Toscane. D’ailleurs c’est le Comte Boniface II de Toscane qui a fondé la ville. Et vous, les Gaulois, vous êtes « I Pinzuti » parce que vous parlez avec l’accent pointu ! Putain, mec, on arrive ! Faut faire un vœu. La première fois qu’on met le pied sur la plus belle terre du monde ça demande un putain de vœu !

    Mon putain de vœu c’était réalisé avant que je le formule puisque Julien, capitulant à bout de nerfs, de désir et de passion, m’avait demandé de le rejoindre, Julien que j’aperçus le premier tandis que je m’apprêtais à débarquer, Julien grave et tendu derrière d’immenses lunettes d’éclipse, trempé d’embruns et blanc de sel , Julien qui brusquement tournais le dos au vent pour allumer une cigarette si bien que lorsqu’il fit volte face , je me trouvais seulement à quelques centimètres de lui .


    Il eut un sursaut en arrière comme un mouvement de retrait, plus pale encore, hésitant, balbutiant du silence avant de me noyer sous le flot confus, rapide, heurté de paroles qui cherchaient leur sens.

    « - Ah tu es là, cool ! Tu as fait bon voyage ? Non, hein ? Tu as vu ce vent ? On se croirait en Décembre .Génial, tu n’as pas pris quarante valises. Bon bé on y va alors .L’hôtel n’est pas loin, juste là sur le quai. « La Caravelle », tu verras c’est bien. Il y a même un piano bar. Le pianiste, c’est un as. Il joue au Cirque d’hiver hors saison. Sa femme, tu vas l’adorer, elle est folle. On les fréquentera, à Paris, ils ont un appart aux Buttes Chaumont. J'ai pensé que c’était mieux de rester ici deux jours histoire de se retrouver tous les deux en tête à tête avant de rejoindre mes parents à Ajaccio. Je leur ai dit, tu sais, comme ça, brut de décoffrage, je l’aime et il arrive, si vous m’aimez vous l’aimerez aussi. Ils ont répondu, pas de problème du moment qu’on ne s’affichait pas. C’est quoi d’après toi s’afficher ? Se rouler des pelles devant tout le monde ? J’ai envie de t’embrasser mon amour, j’en peux plus. Allez magne, on est presqu’arrivés. Bon là, on est dans la ville basse .Des boutiques, des restos, des cafés, des hôtels, aucun intérêt. Par contre la ville haute est un joyau Médiéval. Tu vois la petite chapelle, là, toute blanche ? C’est Saint Roch, on l’a construite au XVIème Siècle à l’endroit ou est morte la dernière victime de la grande peste qui a décimé les trois quart de la population. Au dessus regarde, la porte de Gènes qui ouvre le chemin de ronde, alors que la porte de France de l’autre coté de la citadelle le ferme. Et la colonne de granit gris, à droite, au bort de la route, juste dans le virage, elle a été sculptée par les esclaves Romains. Aujourd'hui c'est le monument aux morts .Et là, le yacht, le gros, il appartient à Bill Gates.

    « - Qui l’a loué à Brad Pitt, je sais. Bon, tu te calmes un peu et tu me dis bonjour, tout simplement ?

    Il s’immobilisa tout net devant l’entrée de l’hôtel et là, indifférent à un monde plus indifférent encore, il caressa mon visage de sa longue main brune tandis qu’il me disait d’une voix chaude et émue les plus jolis mots d’amour que l’on m’ais jamais dit.

    « - Bonjour mon rêve.

     Antoine Ciosi: «  Ritornu. »
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