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" Feuilleforte"


zzzzzzzzzzzzz-autheuil-12-0.jpgLa maison d'Autheuil est pleine de murmures et pleine de sourires.


Paisible elle chuchote et puis se moque un peu.

De son grand corps solennel et de ses majestés, de ses tourelles aux angles et qui jouent à la guerre, celle des dentelles, celle des rubans. Anne, ma sœur embusquée qui ne voit rien venir, rit de ses colombages et de ses colombiers, de ses métairies ou de blondes citadines s’amusent « à la fermière » dans des impers de soie et des jupes à damier.


C’est une maison heureuse, une maison de cinéma.


En tendant bien l’oreille on l’entend raconter un film de Sautet, « Vincent, François, Paul et les autres », « Une histoire simple », sa simple histoire.

Ceux qui avant nous l’occupèrent n’y ont pas fait de drames.

Nous en ferons surement, nous sommes tragédiens.

Nous mettrons du baroque aux bronzes des cheminées, de la confusion au tour d’escalier et d’improbables fantômes plein les greniers.

Des dames de Sibérie en hermines tachées y donneront à baiser leurs jolis doigts de brume au boyard repenti qui les a égorgées.

Et des impératrices aux lèvres empoisonnées cravacheront la nuit, des amants de passage courbés comme des chiens.


Déjà un vent de Russie aiguillonne la paix Normande, détonne, doux et rugueux des prénoms étrangers, Boris, Ivan, Liouba, Stassia, Sasha.


C’est du Tchékhov que l'on donne sous les cerisiers. Trois sœurs se chiffonnent en attendant l’été.


Passent tante Vania et son escorte de minets.


Il flotte dans la maison , entre parquets et plafonds, une ombre bienveillante et silencieuse, quelque chose d'un temps perdu à jamais retrouvé, quelque chose de l’ordre des choses, une sorte de force désincarnée, implacable et immuable touchant à la majesté et au sacré et qu'il serait criminel de contredire ou de contrarier.


Appelez cela le poids de l’histoire si vous voulez.

Personnellement je crois volontiers que le supplément d’âme que possède cette demeure, si simple et si énigmatique, confère un éclat de noblesse à ceux qui l’occupent, un peu comme un adoubement, une légitimité.


Si elle nous a accepté, si elle a bien voulu se transformer en foyer pour les métèques, les apatrides que nous sommes c’est parce que nous avons cédé à ses conditions.


Ainsi, hormis les inévitable restaurations et l’apport d’une légère touche Slave dont elle semble apprécier les couleurs tziganes, nous avons tenu à lui garder tout son cachet, tout son lustre un peu austère de résidence seigneuriale, et c’est toujours avec beaucoup de prévenances que nous bousculons ses habitudes.


La plupart des meubles ont étés achetés avec les murs. Les vernis Martin, les rognons ou les bouillotes, les bridges, les bergères ou les cabriolets, les ottomanes, les causeuses, les liseuses, les bonnetières, les cabinets arrivés avec nous viennent tous de propriétés cousines. Certaines de ces pièces se retrouvent après des siècles de séparations, d’autres se découvrent, se séduisent et entament de jolies histoires d’amour qui dureront plus longtemps que les nôtres.


Bien entendu, nous avons conservé au domaine son nom de « Feuilleforte ».

Certains prétendent que Nina Companeez s’en est inspiré pour créer celui ou vit la famille de Fanny Ardant dans « Les dames de la côte ».

En revanche, si hasard il y a, je le trouve charmant, d’autant que Liouba me compare souvent, non à Fanny Ardant, la pauvre, mais au personnage qu’elle incarne dans la série, quelqu’un qui s’emballe d’un rien et prend toujours de bonne foie la mauvaise décision.

Quant à notre folie écarlate, « Feuilleforte » s’en accommode très bien, elle qui a connu les délires blancs de la chouannerie, comme elle s’accommode de cette nasse pleine de haine cordiale que nous nommons « La Famille », sans trop nous attacher au sens générique du terme, et dont les cris d’amours et les vociférations obscènes résonnent jusque au plus secret de ses combles.



Il est de tradition à « Feuilleforte », comme cela l’était parc Monceau, de s’habiller pour diner.


Mon grand père y tenait absolument, celui qui entendait ne pas se plier à la règle se voyant tout bonnement consigné dans sa chambre, nanti de quelques fruits, d'un biscuit et d'un pichet d'eau, ou pire, contraint d’attendre à l’office que l’on y retourne les restes du festin.


Si papy admettait de bonne grâce puisqu'après tout nous étions en vacances, que nous déjeunions lorsque bon nous semblait, dans l’appareil qu’il nous plaisait d’adopter – ainsi, même les slips de bain ne portaient pas à controverse – en revanche, il se montrait intraitable au sujet du repas du soir. Les hommes devaient s’y présenter en costume sombre et cravate, les femmes en robes couvrant au moins le genou.


Ces dames cependant, ne se privaient guère d’ apparaitre décolletées jusqu’au nombril, grand père appréciant que l’on montrât ses seins à défaut de ses cuisses, mais à la condition que les vertiges de soie, de satin ou de moire qui les dénudaient dévoilent des vertiges de rondeurs laiteuses, rosées ou dorées, douces comme des dômes sculptés dans la chair fondante d’un savon de beauté , le vieil impudent ne s’étant pas gêné pour faire remarquer à une vague cousine issue de la branche Allemande qu’il était inutile d’ouvrir les rideaux en grand pour donner à voir une si morne plaine, un soir que l’intrépide Teutonne offrait à des regards tout allumés du feu redoutable de la moquerie, rendue plus pitoyable encore par un grand jeu d’effets de buste dont la seule incidence notable consistait à faire s’entrechoquer avec un son vibrant de cymbales, le triple rang d’émaux parant son cou de pharaonne, le spectacle ou plutôt la tragique absence de spectacle d’un torse sec comme une vieille galette au beurre ranci, que les transparences d’une mousse de dentelles champagne teintait d’un ivoire frileux de clair de lune.

De même, nos places autour de la table nous sont attribuées de manière définitive, sauf lorsque pour des raisons strictement diplomatiques tenant au nombre d’invités ou au prestige de certains d’entre eux, nous sommes tenus, à contre cœur, d’en changer.

Le plus drôle dans ce cérémonial, c’est qu’il ne dure que le temps de quelques verres. Dés que nous sommes bien biturés, nous abandonnons la pose aussi prestement que nous l’avons prise, tandis que la cour de Saint James tourne à la cour des miracles. Les maquillages fondent dans la chaleur des lustres et des bougies, les vestes tombent, les cravates se dénouent, les chemises s’ouvrent, notre aimable glacis mondain vole en éclats pour laisser la place aux outrances de notre théâtre Russe, lesquelles ont contaminées avec une fulgurance de grippe Espagnole jusqu’aux pièces rapportées. On s’engueule, on se fâche, on braille, on jette des anathèmes et des esclaves aux murènes, on se réconcilie, on s’embrasse, on rit à en perdre le souffle, on pleure comme un peuple de crocodiles. Revient alors en ritournelle la périlleuse évocation de nos amours passées, et la grand messe funéraire en mémoire des absents.

Par malheur, en raison de mon refus de confier à qui que ce soit les dernières péripéties de mon feuilleton sentimental, mes errances amoureuses furent le centre des débats du Week-end.

Dire que j’ai bouffé du Julien, le chouchou de l’ensemble du clan, à toutes les sauces me parait un doux euphémisme.
Quant à ce cher Christophe, vous pensez bien qu’il a basculé au massicot en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire.


Qu’il n’ait rien pour déplaire, paradoxalement, déplait aux miens. Je ne peux, qui plus est, leur donner complètement tort tant le style « gendre-idéal-aristo-de-salon-jamais-un-faux-pli-à-ses-pantalons » s’oppose de façon quasi sacrilège au genre de garçon qui me va bien au teint. Si Stéphane avait été jugé coupable d’un délit de sale gueule et de mauvaises manières, Christophe, lui pêche par excès de perfection.


Encore faut-il le dire vite.


Je suis le seul à connaître les petites noirceurs qui viennent comme des bourdons autour d’une fleur de soleil, butiner son auréole d’angélisme, comme je suis le seul à savoir de quelles somptueuses foucades son corps si lisse et si doux est capable.


Cependant, et il ne l'ignore pas, face au veto unanime du clan, je crains que son règne ne dure longtemps. Car m’épouser c’est épouser les miens. Hors je suis à présent trop vieux pour accepter de me les mettre à dos comme je le fis du temps de Stéphane.


Trop vieux ou trop lâche.

A moins que je ne me sente pas suffisamment aimé…..

A bon entendeur, mon impossible amour.

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